Présentation

Toute bibliographie situe dans son inévitable incomplétude son compilateur, tant socialement qu’intellectuellement. Chaque ajout, chaque exclusion, chaque décision d’édition témoigne, quels que soient ses efforts pour les objectiver et pour en limiter les effets sur la cohérence de l’ensemble bibliographique, des positionnements et de la subjectivité du bibliographe : les lectures qui l’ont le plus marqué, la génération à laquelle il appartient, les groupes, centres, associations, réseaux dont il est proche, les langues qu’il pratique forment autant de biais qu’il ne peut tout à fait éliminer et dont il peut seulement prendre conscience. À plus forte raison, une bibliographie qui comme celle-ci rend compte non pas de l’œuvre d’un auteur ou même d’un genre mais d’une perspective d’analyse de la littérature, sur une longue période et sans distinction de langue, ne peut faire l’économie de lacunes et de choix contestables. Quel numéro de telle revue intégrer et quel autre rejeter ? Combien d’articles et combien de livres d’un même auteur ajouter ? Comment prendre en compte les articles antérieurs à la Seconde Guerre mondiale qui émanaient en général de revues non universitaires et d’intellectuels non assujettis à la rhétorique académique ? Comment, à l’inverse, traiter de la production universitaire contemporaine, d’une ampleur inégalée mais moins portée sur la réflexion théorique ? Il a fallu, au cas par cas, faire des choix. De surcroît, ces choix ont parfois été hérités : pour les textes difficilement accessibles, j’ai dû me fier à plusieurs reprises à d’autres bibliographies, en particulier à celles que le site des ressources socius a déjà rééditées (ici).  Plutôt que d’en défendre à tous crins la validité, les lignes qui suivent visent à expliciter les principes qui ont présidé à la composition de cette bibliographie générale des travaux savants qui ont porté sur les rapports entre le littéraire et le social de 1904 à 2014.

L’objet de la présente bibliographie pose en outre des problèmes qui lui sont particuliers. Sur un plan quantitatif, les périodes ne sont pas également représentées : les années d’entre-deux-guerres ont été marquées par une forte inflation de textes issus de milieux intellectuels socialistes et marxistes, dans des lieux de publication non universitaires et souvent éphémères, que ce soit en Allemagne, en France, en Russie ou encore aux États-Unis. Cette tendance a cédé la place, dans les années 1950-1960, à une première institutionnalisation de la sociologie de la littérature dans l’espace francophone (sous la houlette principalement de Roger Escarpit et de Lucien Goldmann) tandis que les recherches sur le livre et les réflexions hétérodoxes anglaises sur la culture (Raymond Williams, Stuart Hall, etc.) prenaient de l’expansion. L’explosion des théories de la littérature a produit un développement considérable du domaine dans les années 1960-1970, essentiellement en français, en anglais, en allemand, mais aussi en espagnol, en italien, en tchèque et en polonais. Ce que d’aucuns prennent pour un âge d’or (en témoignent les nombreuses anthologies d’articles théoriques) prend fin ensuite tandis que, dans les années 1980-1990, quelques auteurs (Pierre Bourdieu, Edmond Cros, Claude Duchet, Marc Angenot) deviennent des références obligées et donnent naissance (par la direction d’une revue, d’un institut ou de thèses) à des travaux d’héritiers. Dans les quinze dernières années enfin, du fait sans doute de la plus faible teneur théorique des études littéraires en général, les recherches sociologiques sur les faits et les textes littéraires ont trouvé refuge dans des groupes et des associations de recherche (Collège de sociocritique au Québec, Institut international de Sociocritique dans le domaine hispanophone, RT 14 et RT 27 de l’Association française de Sociologie) ou encore autour de revues spécialisées (COnTEXTES, Sociocriticism, Sociologie de l’art – Opus, Actes de la recherche en sciences sociales).  

Il faut aussi souligner qu’aucune appellation n’a réussi à faire autorité pour désigner l’ensemble des travaux portant sur les rapports entre littérature et société : si l’expression de « sociologie de la littérature » est la plus répandue, on lui trouve dans le dernier demi-siècle nombre de concurrentes, pour certaines spécifiques à un ou deux auteurs, pour d’autres adoptées par des groupes de recherche et des programmes de cours : sociologie du texte, sociologie du littéraire, sociocritique, sociosémiotique, etc. Les ouvrages de présentation au grand public de la sociologie de la littérature (signés Robert Escarpit, Paul Dirkx, Paul Aron et Alain Viala ou encore Gisèle Sapiro) se caractérisent d’ailleurs chacun par une tentative d’organiser la multiplicité des tendances – le plus souvent en distinguant entre sociologie de la production, sociologie des œuvres et sociologie de la réception.

Par ailleurs, ce qui a pu apparaître dans les années 1970 et 1980 comme un secteur de réflexion relativement homogène (malgré les profondes divergences théoriques en son sein) ne peut certainement plus y prétendre aujourd’hui et ce, pour plusieurs raisons : certaines recherches ont trouvé une niche pourvue d’une appellation relativement stable et institutionnalisée par des groupes, des associations, des colloques spécialisés (sociologie des champs, sociocritique) tandis que d’autres, les plus nombreuses, croisent les méthodes et les approches. Si les replis identitaires sur une perspective exclusive existent encore, il n’est plus rare désormais de voir des recherches sociologiques rencontrer des recherches sémiotiques, historiques, poétiques, dans un mouvement de contamination réciproque. Se pose aussi avec acuité la question des frontières, en particulier avec des disciplines qui, autrefois directement liées aux recherches sociologiques, ont eu tendance à s’autonomiser, faisant l’objet de revues, d’institutions et de veilles bibliographiques spécifiques : la psychosociologie de la lecture, la sociologie des arts plastiques, l’histoire du livre et de l’édition, l’histoire culturelle, sans même parler des continents, surtout du côté anglophone, des cultural studies et des gender studies. Et puis, les auteurs peuvent adopter de nouvelles perspectives au cours de leur carrière ou se détacher de leurs amours théoriques d’antan : combien alors d’occurrences intégrer pour Bakhtine, Jean-Marie Schaeffer, Jacques Dubois, Edmond Cros, Antoine Compagnon, René Girard ? Le compilateur, chaque fois, n’a d’autre choix que d’agir de la façon la plus cohérente et la plus honnête possible puis de faire amende honorable dès que nécessaire…

Dernière source de questionnements, mais non la moindre, sur les limites à respecter dans la présente entreprise bibliographique : l’ouverture récente des sujets de recherche (formes, contenus, périodes, genres) alors que les travaux des années 50-80 portaient principalement sur un corpus restreint d’œuvres issues du canon occidental. Sans même relancer la sempiternelle question de savoir « qu’est-ce que la littérature ? », on ne peut s’abstenir de faire là encore des choix : en l’occurrence, ont été privilégiés, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, les travaux sur la production théâtrale et le texte de théâtre au détriment des performance studies, sur l’édition de bande dessinée et la structuration de son champ littéraire plutôt que sur les semiotic studies, sur le genre de l’essai plutôt que sur celui des écrits savants, sur les auteurs d’œuvres d’imagination plutôt que sur les publicistes, les artistes ou les professeurs, sans négliger toutefois les lieux d’intersection que sont la sociologie des intellectuels, l’histoire sociale de la bohème ou encore celle des avant-gardes.

Au-delà de ces questions qui pour la plupart ont été traitées au cas par cas au cours du travail de compilation bibliographique, voici quelques-uns des choix qui ont guidé ce travail :

- adopter pour terminus a quo, même si d’une certaine manière les approches sociales du littéraire sont aussi vieilles que l’étude de la littérature elle-même, la date symbolique de la rencontre entre l’histoire littéraire et la sociologie lors de la conférence en 1904 de Gustave Lanson à l’École des hautes études sociales, prononcée à l’invitation d’Émile Durkheim (dont on trouvera le texte ici) ;

- ne pas retenir les thèses et les mémoires inédits ;

- écarter, sauf exception, les recensions et comptes rendus critiques ;

- éliminer tout article qui a été par la suite intégré par son auteur, sous une forme reconnaissable, dans un recueil d’articles ou un ouvrage de synthèse ;

- maintenir l’intégrité des dossiers de revue et des ouvrages collectifs, quand bien même toutes les contributions ne concernent pas premièrement la littérature ou n’ont pas été écrits dans une perspective sociologique ; toutefois, si seulement deux ou trois articles d’un collectif ou d’un dossier ont été jugés pertinents, on les a fait précéder de partim ;

- ne pas exclure de langue d’écriture a priori, même si le français et l’anglais sont largement plus représentées ; en revanche, seule la traduction d’un livre vers le français ou, en l’absence de celle-ci, vers l’anglais a été considérée, de même que l’on n’a pas recensé les traductions vers des langues étrangères de livres ou d’articles écrits en français ;

- de séparer en trois sections les anthologies, les bibliographies et les études ;

- à l’intérieur de ces sections, de n’utiliser qu’un classement alphabétique par auteur, là où plusieurs autres bibliographies consacrées au même objet ont opté pour un ordonnancement chronologique ou un classement par sous-discipline ou par perspective théorique (sociologie de la lecture, sociologie du champ et de l’institution, sociocritique, etc.), au risque d’une répartition arbitraire dont on a préféré s’abstenir.

Pour s’aider dans sa consultation, le lecteur pourra utiliser la fonction de recherche qui est mise à sa disposition et qui lui permettra de s’enquérir des travaux d’un auteur, de rechercher un élément de titre, une date ou encore un éditeur. 

 

La bibliographie est aussi disponible aux éditions L'Harmattan, pourvue d'un index des noms d'auteurs :

 

9782343077581r

 

 

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