Le concept d’illusio recouvre, dans la sociologie de Pierre Bourdieu, l’adhésion de l’agent social, avec les effets qui en découlent, aux normes et aux valeurs régissant son champ d’appartenance. L’entrée et l’insertion dans un champ, la participation aux modes d’action et d’intervention dont celui-ci est le lieu — et dont ses structures mêmes sont assez largement le produit — relèvent moins, pour l’agent social, d’un engagement entièrement délibéré que d’un investissement tout entier de soi, dans lequel entre une sorte de foi pratique incorporée par exposition durable au nomos de ce champ, c’est-à-dire à ses règles et régularités spécifiques, et confirmée en retour par les gratifications ou promesses de gratification qui s’attachent à l’observation de ces mêmes règles et régularités. Indexé étymologiquement sur le vocabulaire du jeu, le concept d’illusio — de in ludo, être dans le jeu, participer au jeu — rend compte de cet investissement et des illusions nécessaires ou des faits de croyance tout aussi nécessaires qui en résultent : croyance en la valeur du jeu en soi (qu’il vaut donc la peine de jouer), en la validité de ses règles, en la désirabilité de ses enjeux et, par un paradoxe qui n’est qu’apparent, en l’existence, au-delà du jeu lui-même, d’une réalité irréductible à ce jeu et aux intérêts engagés par ceux qui y participent dotés des mêmes dispositions (cette réalité transcendante mais vécue sous forme d’illusion nécessaire pouvant être, selon les cas, la littérature, l’art, la science, le droit, l’État, etc.). Produit de l’investissement dans le jeu autant que condition du maintien de celui-ci, adhésion préréflexive au lois immanentes d’un univers déterminé, l’illusio présente, en tant que concept, deux autres vertus théoriques majeures et d’ailleurs conjointes : d’un côté, elle rend raison, en la retrempant à sa source, de la libido spécifique dont l’agent social se trouve animé dans les conduites et les diverses formes d’accomplissement qui lui sont comme dictées par son univers d’appartenance ; d’un autre côté, elle tend à réduire à portion très résiduelle ou secondaire, au profit d’un ajustement spontané aux principes de fonctionnement et aux attentes de cet univers, la part de calcul conscient ou de cynisme dont peuvent être éventuellement porteuses les stratégies que l’agent social y développe.
C’est à la fin des années 1970 que le concept s’introduit dans la boîte à outils du sociologue. On peut le voir se dessiner dès 1977 dans le grand article sur « La production de la croyance » (Bourdieu, 1977). S’attachant à construire une « économie des biens symboliques » en rupture avec le réductionnisme économique autant qu’avec la sacralisation culturelle, Bourdieu y déplaçait l’origine du statut et du pouvoir de l’écrivain ou de l’artiste, vu comme « créateur » charismatique, des auteurs individuels, des médiateurs et des institutions vers la sphère du champ culturel pris dans son ensemble, en tant que système de relations au sein duquel la compétition de tous les acteurs concernés contribue non seulement à la valeur des enjeux qu’ils poursuivent — reconnaissance, légitimité, consécration, accumulation de capital symbolique — mais aussi, plus fondamentalement, à l’engendrement et à la perpétuation d’une croyance en la valeur suprême de l’art ou de la littérature à travers la collusion objective ou, si l’on préfère, le consensus dont cette compétition est aussi le vecteur (Bourdieu, 1977)1. Le mot d’illusio lui-même apparaîtra, deux ans plus tard, dans l’index des notions de La Distinction (Bourdieu, 1979) pour y désigner, en tant que produit d’une telle collusion, « la reconnaissance fondamentale du jeu et des enjeux culturels » qui forme l’arrière-plan de toutes les controverses cultivées sur la culture et de toutes les oppositions établies entre les différentes classes d’objets culturels, ou plus généralement la part d’indiscuté qu’emporte avec elle toute discussion (ici dans le domaine des goûts et des classements) : « Fétiche entre les fétiches, la valeur de la culture s’engendre dans l’investissement originaire qu’implique le fait même d’entrer dans le jeu, dans la croyance collective en la valeur du jeu qui fait le jeu et que refait sans cesse la concurrence pour les enjeux. » Et plus loin :
« C’est dans ces luttes entre adversaires objectivement complices que s’engendre la valeur de la culture ou, ce qui revient au même, la croyance dans la valeur de la culture, l’intérêt pour la culture, l’intérêt de la culture — qui ne vont pas de soi, bien que ce soit un des effets du jeu que de faire croire à l’innéité du désir et du plaisir de jouer » (Bourdieu, 1979, p. 279).
Tel qu’on le voit ainsi s’affirmer à partir de la fin des années 1970, au point de devenir l’une des pierres d’angles de l’édifice théorique bourdieusien, le concept d’illusio tend sous certains aspects à prendre avantageusement la place d’une notion telle que celle de « stratégie » qui, bien que définie par le sociologue comme l’effet d’« une relation inconsciente entre un habitus et un champ2 » n’en demeurait pas moins susceptible, chez nombre de lecteurs pressés, d’un usage ou d’une interprétation en termes de calcul et de poursuite délibérée d’intérêts plus ou moins dissimulés3. On voit aussi, de La Distinction (Bourdieu, 1979) au Sens pratique (Bourdieu, 1980a), ce concept prendre à la fois une extension plus grande et une dimension plus fondamentale pour désigner en général « le rapport enchanté à un jeu qui est le produit d’un rapport de complicité ontologique entre [les] structures mentales et [les] structures objectives de l’espace social » (Bourdieu, 1989, p. 13). Et par conséquent s’élargir avec lui à l’ensemble des univers sociaux les phénomènes de sacralisation et de fétichisation — et plus généralement de symbolisation des manières de voir et des manières d’agir — dont le champ culturel ne ferait guère qu’offrir l’illustration la plus flagrante.
Il faut y insister en effet : le concept d’illusio n’a pas pour seule aire de pertinence le champ culturel et moins encore le seul champ littéraire, même si, dans celui-ci, fétichisation et sacralisation se montrent particulièrement prégnants. Il est vrai que le champ littéraire procède plus que tout autre d’un processus d’autonomisation rendu d’autant plus long et complexe que ses produits procèdent d’un travail exercé sur un matériau, la langue commune, en usage dans tous les autres secteurs de la vie sociale ; et il est vrai aussi que, contrairement au champ artistique, où existent des filières de formation et d’apprentissage, il ne se soutient pour sa part d’aucune règle explicite, notamment en fait de droit à l’entrée, au-delà des modèles idéaux de réalisation de soi qu’il suggère à ses aspirants et des régularités non écrites auxquelles il soumet insensiblement ses agents4. Mais en réalité il n’est pas de champ social, fût-il le plus fortement codifié, qui ne mette également en jeu à différents niveaux de semblables régularités, elles-mêmes inductrices d’une illusio et d’une libido spécifiques. Les univers sociaux répondant à des règles formellement codifiées et imposant des conditions d’accès sous l’espèce de diplômes et d’accréditations diverses, tels que le champ juridique ou le champ médical, n’en présentent pas moins en effet des manières de faire qui ne sont pas totalement recouvertes par des protocoles explicites, ainsi que des formes d’investissement, pouvant aller jusqu’à une sorte de mystique du métier, qui ne sont pas plus prescrites comme telles par les codes de la profession que par les besoins de la fonction.
Avec les propriétés récursives qu’il revêt — l’adhésion enchantée du sujet au nomos de son univers d’appartenance étant aussi à la source des attitudes et des conduites qu’il y observe —le concept d’illusio s’est d’autant mieux intégré à l’appareil théorique bourdieusien que celui-ci fait reposer sa vision et son analyse des phénomènes sociaux sur un double principe de circularité. Ce principe veut, d’un côté, que l’espace social existe sous deux formes inégalement visibles : une forme extérieure, comme inégale distribution des ressources et ensemble structuré de positions, et une forme intérieure ou intériorisée, résultant de l’incorporation par le sujet, sous forme de schèmes de perception et classement, des structures constitutives de cet espace. Contre toute vision statique et réifiée qui les réduirait à leur dimension institutionnelle, mais aussi contre la vision trop molle qui les identifierait à un réseau d’interactions symboliques, ce même principe veut, d’un autre côté, que les univers sociaux font l’objet d’une construction collective permanente. Si chaque nouvel entrant dans un tel univers le trouve en quelque sorte tout fait, c’est-à-dire dans l’état qu’il lui présente au moment où il y fait son entrée avec certaines des prédispositions requises (ne serait-ce que celle qui lui a inspiré le désir d’y entrer), cet univers est à la fois le produit d’une histoire accumulée et des transformations qu’y apporte la dynamique collective de ses agents.
À travers les effets qu’elle exerce sur la pratique et le lien entretenu avec la pratique, l’illusio reconduit en somme à la source dont elle provient : c’est bien en effet parce qu’elle est le produit de l’implication dans un jeu établi en régime d’autonomie plus ou moins grande qu’elle est aussi garantie du maintien de ce jeu et de l’intérêt à y prendre part, quelque sévères que puissent être les mortifications qu’il occasionne ou vifs les accès de révolte à son égard. Aussi convient-il d’insister sur la dimension inconsciente qu’elle présente chez des sujets développant à l’endroit de leur univers d’appartenance un double rapport de connaissance et de méconnaissance : de connaissance, en tant que ce rapport passe par un sens pratique, une capacité de déterminer son action en fonction des structures de l’univers concerné, appréhendé et vécu comme espace de possibles ; de méconnaissance, en tant que ce sens pratique résulte d’une incorporation de ces structures et qu’il participe donc d’une relation de causalité circulaire entre un habitus et un champ rendus comme invisibles par leur adéquation réciproque. On voit à quel principe d’efficacité satisfait ce double rapport de connaissance et de méconnaissance, assez proche de la sociogenèse qu’un Norbert Elias voyait de son côté au cœur du « processus de civilisation5 ». Du point de vue du sujet, il ajuste ses représentations et ses conduites à son champ d’action, avec les gratifications qu’il peut en escompter ; du point de vue du champ, il assure stabilité au système sous évolution conforme à ses lois spécifiques. Cette efficacité n’est pas étrangère à l’enchantement dont l’illusio est porteuse, adhésion libre mais non délibérée aux contraintes d’un univers dont l’arbitraire paraît aller de soi. Elle en fait aussi le point aveugle de tout ce dispositif, en rendant fort improbable son objectivation par ceux qui en sont habités : parce que la mise à distance demandée par une telle objectivation exigerait un suspens de la circularité structurale liant champ et habitus, suspens que cette circularité rend elle-même peu probable ; et parce que le prix d’un tel suspens ne pourrait guère être, pour qui s’en rendrait capable, qu’un retrait du jeu ou le développement d’un rapport cynique à ce jeu, ou bien encore, à tout le moins, une incapacité à y prendre part efficacement, tant il semble vrai, comme l’observait déjà Jean-Marie Guyau, que « raisonner un système d’actions réflexes ou d’habitudes, c’est toujours le troubler » (Guyau, p. 121).
Pour consubstantielle qu’elle soit au fonctionnement normal des champs sociaux, l’illusio n’en présente pas moins quelques formes pathologiques. L’une de ces formes, que Bourdieu ne semble pas avoir mentionnée, est celle qui porte certains sujets à s’investir dans le jeu au-delà du raisonnable — c’est-à-dire aussi au-delà de la rationalité spécifique de l’univers concerné —, au point que la libido qui s’y trouve engagée en vient comme à dévorer celui qui en est animé, avec les effets psycho-sociaux susceptibles d’en résulter : stress, dépression, suicide, etc. Une autre, assez proche de la précédente, est évoquée dans La Distinction, à savoir l’entrée « dans l’univers policé du jeu intellectuel » de gens qui, à l’instar d’un Rousseau ou d’un Tchernychevski, « se prennent au jeu au point d’abdiquer ce minimum de distance neutralisante qu’implique l’illusio et en viennent à “ [traiter] l’enjeu des luttes intellectuelles, objet de tant de professions de foi pathétiques, comme une simple question de vrai ou de faux, de vie ou de mort” » (Bourdieu, 1979, pp. 56-57). À cette illusio par excès, parce que prise au pied de la lettre, pourrait correspondre, d’autre part, l’illusio par défaut dont un Mallarmé ou un Duchamp ont montré de rarissimes exemples. A la lumière d’une page de La Musique et les Lettres relative au « démontage impie […] du mécanisme littéraire », l’auteur des Règles de l’art a ainsi vu, dans le premier, le cas d’un poète ayant développé à l’égard de l’illusio inhérente au jeu littéraire un rapport de réflexivité paradoxale, consistant d’un côté à en exposer la logique intime à la manière d’une lettre volée — mais aussitôt dérobée par une rhétorique hermétique — et d’un autre côté à la sauvegarder, comme illusion en effet nécessaire, au prix d’un « fétichisme décisoire » et d’une sursacralisation du secret poétique simultanément voilé et dévoilé (Bourdieu, 1992, pp. 381-384). Encore est-ce moins peut-être dans cette page que Mallarmé fait montre, selon toute hypothèse, d’une telle réflexivité paradoxale que dans telle autre de la même conférence — passée curieusement inaperçue au yeux de Bourdieu — qui voit le poète définir la « Cité » comme le produit de la croyance collective en une instance à la fois supérieure et extérieure aux dissensions furieuses pouvant opposer des citoyens « d’accord, au moins, que ce à propos de quoi on s’entre-dévore, compte » (Mallarmé, pp. 72-73, voir Durand). Avec une étonnante préfiguration des thèses du sociologue relatives à la genèse sociale de l’État (Bourdieu, 2012), on ne saurait mieux définir en tout cas l’illusio en tant qu’accord unanime, né dans et par la compétition sociale, sur l’utilité d’entrer en compétition au nom d’un enjeu suprême.
Le concept d’illusio et celui de « croyance » qui s’y rattache ont fait l’objet de deux critiques contradictoires, l’une et l’autre très discutables. La plus fréquente, qui est aussi la plus banale, consiste à rabattre l’illusio sur l’« illusion » et à considérer que le point de vue adopté par Bourdieu, étant extérieur ou « en surplomb » par rapport au monde de l’art et de la littérature, ferait dogmatiquement peu de cas de l’intégrité, de la sincérité ou de la lucidité qu’écrivains et artistes introduisent à divers degrés dans leur pratique et la relation qu’ils entretiennent avec les secrets de leur art. C’est là en vérité faire peu de cas de l’insistance que l’auteur des Règles de l’art n’a pas cessé de porter sur la nécessité de se mettre au « point de vue de l’auteur » pour reconstituer, partant de là, l’espace des possibles que ce dernier a investi et le cas échéant transformé ; et faire moins de cas encore, en l’occurrence, du soin qu’il mettra, dans ses Méditations pascaliennes, à rappeler que « l’illusio n’est illusion ou “divertissement”, on le sait, que pour qui appréhende le jeu du dehors, du point de vue du “spectateur impartial” » (Bourdieu, 1997, p. 180). D’autres croient apercevoir dans ces concepts et la représentation du social et du symbolique qu’ils recouvrent la marque de « présupposés métaphysiques » conduisant à préserver, au-delà du jeu examiné, l’horizon d’une improbable transcendance (Voir Monginot). Rien n’interdit sans doute de faire l’hypothèse que les phénomènes de sacralisation qu’il a examinés ont pu exercer sur le sociologue une part de fascination le rendant à tout le moins comptable d’une sorte de théologie de l’art, ni que les combats qu’il a menés, à la fin de sa carrière, pour la défense d’un univers culturel et intellectuel menacé par les forces d’hétéronomie venant du marché sous « intrusion » journalistique et en contexte de « révolution conservatrice » dans l’édition pourraient avoir pris les contours d’une sorte de croisade. L’objection n’en revient pas moins à installer autour de ces concepts le nimbe de fétichisme qu’ils avaient justement pour objet de faire ressortir, avec description explicative de leur genèse, autour des discours et des démarches propres au microcosme littéraire ou artistique. Elle ne tient surtout aucun compte de la double exigence sur laquelle l’auteur des Règles de l’art faisait reposer la « science des œuvres » qu’il appelait de ses vœux :
« On ne peut fonder une véritable science des œuvres qu’à la condition de s’arracher à l’illusio et de suspendre la relation de complicité et de connivence qui lie tout homme cultivé au jeu culturel pour constituer ce jeu en objet, mais sans oublier pour autant que cette illusio fait partie de la réalité même qu’il s’agit de comprendre […] » (Bourdieu, 1992, p. 320).
Bibliographie
Bourdieu (Pierre), « La production de la croyance. Contribution à une économie des biens symboliques », Actes de la recherche en sciences sociales, no 13, 1977, pp. 3-43.
Bourdieu (Pierre), La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, « Le Sens Commun », 1979.
Bourdieu (Pierre), Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980a.
Bourdieu (Pierre), Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1980b.
Bourdieu (Pierre), « Intérêt et désintéressement », dans Cahiers du groupe de recherche sur la socialisation, no 7,Lyon, septembre 1989.
Bourdieu (Pierre), Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, « Libre Examen », 1992.
Bourdieu (Pierre), Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, « Liber », 1997.
Bourdieu (Pierre), Sur l’État. Cours au Collège de France 1989-1992, Patrick Champagne, Rémi Lenoir, Franck Poupeau & Marie-Christine Rivière (éd.), Paris, Raisons d’agir/Seuil, 2012.
Dantec (Maurice G.), Laboratoire de catastrophe générale, Paris, Gallimard, 2001.
Durand (Pascal), « Vers une illusio sans illusion ? Réflexivité formelle et réflexivité critique chez Mallarmé », dans Nouveaux regards sur l’illusio, sous la direction de Denis Saint-Amand & David Vrydaghs, COnTEXTES, no 9, 2011, URL : < http://contextes.revues.org/index4800.html >.
Elias (Norbert), La Dynamique de l’Occident, trad. Pierre Kamnitzer, Paris, Presses Pocket, « Agora », 1975.
Guyau (Jean-Marie), Esquisse d’une morale sans obligation, ni sanction [1885], Paris, Fayard, « Corpus des œuvres de philosophie en langue française », 1985.
Mallarmé (Stéphane), La Musique et les Lettres, dans Œuvres complètes, tome II, Bertrand Marchal (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2003.
Saint-Amand (Denis) & Vrydaghs (David) (dir.), Nouveaux regards sur l’illusio, dossier de la revue COnTEXTES, no 9, 2011, URL : < http://contextes.revues.org/4783 >.
Monginot (Benoît), « Mallarmé critique de Bourdieu. Le concept d’illusio à l’épreuve des textes », COnTEXTES, no 9, 2011, URL : < http://contextes.revues.org/4793#tocto2n2 >.
Notes
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L’article repris et développé entrera dans la seconde partie des Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire (Bourdieu, 1992).
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« Quelques propriétés des champs », dans Bourdieu, 1980, p. 119.
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Cette notion elle-même d’« intérêt » a pourtant plus d’une fois été définie étymologiquement par le sociologue dans des termes la rapprochant de celle d’« illusio », en tant que produit d’un être-avec-les-autres (d’un inter-esse) ou d’un être-dans-le-jeu.
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Ce qu’un Maurice G. Dantec a souligné de son côté et à sa façon : « Eh non, que voulez-vous, nous n’avons pas la chance nous autres écrivains de survivre à l’abri d’un code professionnel nous protégeant des charlatans, bluffeurs et autres faiseurs à la petite semaine. Imaginez la tronche scandalisée de ce monsieur et de ses confrères si demain je me permettais de construire un bâtiment hautement lucratif, et à peine plus dangereux, et que devant les ruines fumantes, et les dizaines ou centaines de victimes, j’ose bramer que ce n’est pas si grave, que ce n’est pas de l’architecture. Par quelles fourches caudines l’Ordre des médecins et l’État de droit me feraient-ils passer si j’avais décidé d’opérer à vif dans un corps bien tendre, histoire d’y oublier un parapluie ou deux ? / Nous ne pouvons toujours pas, nous autres, invoquer l’exercice illégal de la littérature ». (Dantec, 2001, pp. 42-43).
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« L’interdépendance entre les hommes, écrivait-il, donne naissance à un ordre spécifique, ordre plus impérieux que la volonté et la raison des individus qui y président ». Et il ajoutait plus loin : « La civilisation n’est pas “raisonnable”, elle n’est pas “rationnelle”, mais elle n’est pas non plus “irrationnelle”. Elle doit son origine et sa permanence à la dynamique intrinsèque d’un réseau d’interrelations, à des modifications spécifiques du comportement que la vie commune impose aux hommes. Mais cela n’exclut pas pour nous de faire de cette “civilisation” quelque chose de plus “raisonnable”, de mieux adapté à nos besoins et fins. Car c’est précisément par le processus de civilisation que le jeu aveugle des mécanismes d’interdépendance élargit la marge des possibilités d’interventions conscientes dans le réseau des interdépendances et l’habitus psychique. Ces interventions sont rendues possibles par notre connaissance des lois immanentes qui les régissent » (Elias, pp. 183-185).