Colloque « Qui a lu boira. Les alcools et le monde littéraire » — Université McGill — 1er et 2 novembre 2007
Appel de communications
Quoique ayant beaucoup lu, j'ai bu davantage. J'ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent; mais j'ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent. [...]
On conçoit que tout cela m'a laissé bien peu de temps pour écrire, et c'est justement ce qui convient : l'écriture doit rester rare, puisque avant de trouver l'excellent il faut avoir bu longtemps[1].
Dans ces lignes célèbres, Guy Debord utilise son alcoolisme comme une arme pointée vers l'establishment, la figure du grand écrivain, la sacralité de l'inspiration. Il en fait aussi, non sans dérision, l'un des éléments clés de son autoreprésentation en écrivain inadapté, malheureux et asocial trouvant «l'excellent» dans le refus des bienséances. Le chef de file des situationnistes prend ainsi place dans une longue tradition du génie littéraire alcoolisé qui remonte pour le moins au romantisme tardif d'un Alfred de Musset, et où l'on croise des noms comme Edgar Allan Poe, Paul Verlaine, Marguerite Duras et Christian Mistral.
Là ne s'arrêtent pas les échanges entre le monde du verbe et celui des boissons enivrantes. Plus souvent qu'à son tour, le vin a été mis au service de révoltes rabelaisiennes contre le sérieux et l'ordre établi. Cafés littéraires, salons, dîners mondains, tavernes ont été des lieux de convivialité et d'échange au sein desquels on a refait le monde des lettres, un verre à la main. Roman, essai, théâtre, poésie ont de leur côté fait de l'alcool un objet de représentation, offrant au lecteur attentif une mise en scène parfois étonnante de la vie sociale.
Ce sont ces rapports multiples entre alcools, monde littéraire, représentations artistiques et sociabilités qui feront l'objet du prochain colloque annuel du Collège de sociocritique de Montréal. Trois principaux axes de recherche seront privilégiés par le comité organisateur :
1. Histoire culturelle et Sociologie de la littérature. Il s'agira ici de se pencher sur les pratiques sociales reliées au monde des lettres, de la culture et des arts qui impliquent la consommation d'alcools. Des études pourraient par exemple porter sur le rôle que jouent les préférences affichées en matière de breuvages alcooliques dans une logique dedistinction; sur les cafés littéraires; sur les réceptions qui accompagnent les lancements ou la remise des prix, etc.
2. Sociocritique, lecture sociologique des textes littéraires. Dans cette deuxième perspective, on s'interrogera sur les valeurs et les visions du monde qui passent, dans la littérature et les arts, par la mise en scène des alcools et de ceux qui en consomment. Quelle fonction sociopoétique remplit l'alcool dans L'assommoir ou dans Le crabe aux pinces d'or ? Quelle lecture sociohistorique peut-on faire d'un titre comme Alcools, attribué par Apollinaire à son premier grand recueil de vers ? Pourquoi un personnage tient-il une coupe vide et une coupe pleine sur la couverture de Deux sangs, premier recueil publié par l'Hexagone ?, etc.
3. Analyse du discours. En délaissant la littérature de champ restreint pour embrasser l'ensemble de ce qui s'écrit à une époque donnée, il sera enfin possible de travailler sur le discours des sommeliers; sur les images et la rhétorique mobilisées pour faire la publicité, soit des produits alcooliques, soit des commerces qui vendent des produits alcooliques; sur les innombrables guides du vin, guides de la bière, guides du porto, etc.
[1] Guy Debord, Panégyrique, tome premier, Paris, Gallimard, 1993 (1989), p. 42 et 45.
Programme
Première journée
9h00 Accueil des participants
9h20 Mot de bienvenue
Première séance. Président : Marc Angenot (U. McGill)
9h30 David Vrydaghs (U. de Liège), « L'alcool comme juge des formes de sociabilités dans les textes surréalistes »
10h00 Geneviève Lafrance (U. de Montréal et U. Paris IV-Sorbonne), « "Le jour de boire est arrivé". Quand la Révolution lève son verre »
10h30 Pause
10h45 Yan Hamel (Téluq-UQAM), « Champagne ou whisky ? Le choix des alcools dans Les chemins de la liberté »
11h15 Mélanie Lamarre (U. Charles-de-Gaulle-Lille 3), « Ivresse et militantisme : Jean Rolin, Olivier Rolin, Jean-Pierre Le Dantec »
12h00 Dîner
Deuxième séance. Président : Pierre Popovic (U. de Montréal)
14h00 Jonathan Livernois (U. McGill), « L'alcool chez Diderot et chez Kundera : quand la Pythie devient morose »
14h30 Anthony Glinoer (U. de Toronto), « L'orgie bohème »
15h00 Pause
15h15 Guillaume Pinson (U. Laval), « Souvenirs d'une époque enivrée : les Mémoires de la vie littéraire et journalistique du Second Empire »
15h45 Marguerite Chabrol (U. Paris X – Nanterre), « L'ivresse dans la comédie américaine »
Deuxième journée
9h15 Accueil des participants
Première séance. Président : Sylvain David (U. Concordia)
9h30 Maxime Prévost (U. d'Ottawa), « L'économie alcoolique des mousquetaires d'Alexandre Dumas »
10h00 Alexandre Trudel (U. de Montréal), « Des surréalistes aux situationnistes : sur le passage entre le rêve et l'ivresse »
10h30 Pause
10h45 Olivier Parenteau (U. McGill), « Vider son Verdun trait : le vin dans la poésie française de la Grande Guerre (1914-1918) »
11h15 Karine Bouveur-Devos (ULCO), « Nunc est bidendum : l'alcool et l'amour dans les écrits de la fin du XVIIIe siècle »
12h00 Dîner
Deuxième séance. Présidente : Geneviève Boucher (U. de Montréal)
14h00 Véronique Montémont (ATILF-CNRS), « Perec, Duras, Queneau : analyse statistique de trois manières de boire dans le roman français »
14h30 Michel Lacroix (UQTR), « Un sujet profondément imprégné d'alcool »
15h00 Pause
15h15 Björn-Olav Dozo (U. de Liège), « La nouvelle bande dessinée »
15h45 Sylvain David (U. Concordia), « "Le commando Pernod". De l'appellation incontrôlée à la sémiologie éthylo-politique »
16h15 Fin du colloque et cocktail collégial
Comité organisateur: Geneviève Boucher, Pascal Brissette, Yan Hamel