Définition

La notion d’« image d’auteur » est un concept à multiple facettes qui se définit différemment selon l’angle théorique par lequel il est abordé. Souvent confondue avec la notion d’« auteur » au sein d’un débat littéraire sur les rapports entre texte et contexte, l’« image d’auteur » demande à être appréhendée comme le produit d’une interaction entre les acteurs de l’activité littéraire, tant du côté de la création que de celui de la réception. Prise dans un sens large et dynamique, cette notion permet de penser l’objet littéraire et son auteur dans ses trois dimensions possibles : l’image d’auteur en relation avec le texte, l’image d’auteur en relation avec son moi biographique et social, l’image d’auteur en relation avec d’autres instances sociales, les mondes de l’édition, des prix, des médias, etc.

Le milieu des études littéraires du xxe siècle a été traversé par une querelle souvent violente entre ceux qui attribuent à l’auteur la pleine maîtrise de son texte et ceux qui veulent penser la littérature sans lui. Jusqu’à ce jour, la tension entre des pratiques de lecture qui privilégient à des degrés variés, d’un côté, la plénitude du sujet responsable, puissant, conscient, intentionnel (romantisme, histoire littéraire, critique biographique), et de l’autre, la vacuité auctoriale, reliée à une absence, une dépossession, un inconscient (formalisme, nouvelle critique, post-modernisme), demeure le point d’orgue autour duquel les approches théoriques diverses parlent de l’auteur, de son droit d’interprétation et de son autorité ; deux prérogatives qui influencent sa double relation avec le texte et le lecteur. Aussi, selon l’importance accordée au social, au biographique ou au textuel, les partisans de l’auteur comme ses pourfendeurs mettent-ils l’accent sur l’une et/ou l’autre des trois composantes de la notion d’« image d’auteur » : « image », « image de soi », et « auteur ».

L’« image » désigne ici une représentation imaginaire de l’artiste qui se réfère à une réalité extérieure reproduite dans le discours ; on peut parler d’une mise en scène et/ou d’un portrait qui s’élabore dans le texte en fonction de facteurs reliés au producteur de l’image, en l’occurrence l’auteur, aux enjeux de cet acte de reproduction, au contexte dans lequel il s’effectue, aux liens possibles entre l’auteur physique et l’auteur imaginaire, etc.

Par « image de soi », on entend généralement l’acte de se présenter dans le discours. Les choix discursifs du sujet parlant déterminent sa manière d’être dans l’acte communicationnel face à son destinataire qui en retour réagit au discours en fonction de cette image de soi qui lui est proposée. Pour l’Analyse du discours, le terme renvoie à celui d’ethos qui issu de la rhétorique aristotélicienne désignait au départ l’un des trois outils (logos, ethos et pathos) utilisés par l’orateur pour convaincre son auditoire. L’usage interchangeable des deux termes « image de soi » et « ethos », a permis à l’Analyse du discours d’élargir le sens du concept classique non seulement vers le terrain de la chose écrite mais également de se tourner vers des éléments d’ordre socio-culturel et politique reliés à l’image préalable du sujet parlant, d’une part, et au profil de l’auditoire (cultivé, ignorant, idéologiquement proche ou lointain du destinateur, etc.), d’autre part (voir article « ethos », Glinoer et Saint-Amand).

Enfin le terme d’« auteur » qui concerne les domaines les plus divers se réfère plus spécifiquement aux textes fictionnels (narratifs, poétiques ou dramatiques) catégorisés comme « littéraires ». L’auteur est celui qui crée une œuvre et qui l’assume en se l’attribuant et en la signant. Toutefois, l’auteur peut être défini comme l’expression artistique de la vision du monde d’un groupe social (Goldmann, 1964), ou comme le producteur d’un espace littéraire d’où se dégagent les rapports et les conflits idéologiques d’une société (Macherey, 1966). La notion d’auteur est donc une entité dynamique qui ne dépend pas uniquement de l’acte de production, de reconnaissance et d’appropriation de l’œuvre. Son statut dépend de la place qu’occupe l’auteur dans une pluralité d’instances de socialisation à un moment donné et dans un espace particulier. Cette place détermine en retour une manière d’être et d’écrire.  

 

Ouvertures

L’histoire littéraire a favorisé l’identification de l’auteur avec son œuvre en mettant l’accent sur la relation symbiotique qui imprime ses traces dans la diégèse (Sainte-Beuve), mais, elle a également aspiré à cerner l’individualité créative non seulement dans le détail biographique mais aussi dans l’œuvre en elle-même (Lanson). En réaction au positivisme biographique et à l’érudition historique et sociale de la littérature, les études immanentes des œuvres ont préféré ignorer les facteurs extérieurs au Texte (formalisme russe, New Criticism, nouvelle critique, narratologie). Dans un raidissement théorique encore plus radical, le structuralisme littéraire a jeté son dévolu sur le sujet grammatical au détriment d’un auteur, sujet créateur toujours relié à un individu particulier. Se situant dans la filiation des courants énonciatifs et pragmatiques inaugurés entre autres par les travaux de Benveniste, de Jakobson et d’Austin, il évacue l’auteur pour faire place au pronom personnel, électron libre riche en potentialités d’interprétation parce que déconnecté de toute origine première. C’est la célèbre thèse de Barthes sur la « mort de l’auteur » (Barthes, 1984 [1967]).

Dans une perspective socio-historique qui prend en compte les contextes culturel et médiatique pour mieux comprendre l’émergence de représentations de l’écrivain imaginaire à une époque donnée, la critique littéraire s’est tournée vers l’analyse de représentations de l’auteur devenu un sujet extérieur, observable et analysable (Goulemot & Oster, 1992). Elle a mis ainsi l’accent sur la question d’identités génériques et sur les représentations littéraires dans la diégèse qui en découlent : que signifie être auteur/philosophe/homme de lettres/poète, à telle ou telle époque et comment cette perception de soi et de son travail d’écriture engendre-t-elle une « scénographie auctoriale », dans le sens d’images d’écrivain qui se disent dans les textes et les paratextes ? Ce questionnement sur les identités intellectuelles met l’accent sur la nature discursive et textuelle des notions et des pratiques socio-littéraires, tout en s’ouvrant vers des perspectives historiques (José-Luis Diaz, 2007 ; Couleau-Maixent, 2007).

Ce mouvement d’élargissement théorique glisse vers un questionnement sur le rapport dynamique entre l’habitus et l’auteur ; il invite à prendre en compte la notion de « posture » (voir article « posture », Viala) directement liée à la question de l’image d’auteur. Au départ, le terme de « prisme », hérité des travaux de Pierre Bourdieu, illustrait l’idée qu’à la fois les formes et les contenus d’une œuvre dépendaient de deux éléments constitutifs de l’identité de l’auteur, la psychè individuelle et le statut social (Viala, 1988 ; Molinié & Viala, 1993). Dans l’héritage bourdieusien de Viala, la question du champ est également centrale : c’est par l’articulation d’un examen de la trajectoire singulière d’un individu et d’une approche de l’espace des possibles offert par le champ qu’une « science des œuvres » (Bourdieu, 1992) est possible. Tributaire des ouvrages antérieurs qui ont légitimé son statut d’écrivain, l’auteur se doit de prendre en compte ce capital dans ses œuvres futures. De plus, l’image que le public se fait de lui oriente sa pratique : il peut choisir, consciemment ou non, de l’entretenir ou de la déjouer. Dans le prolongement de ces travaux, le concept de « posture » revisité par Jérôme Meizoz (2007 ; 2011) désigne cette relation de réciprocité qui s’établit entre la position objective de l’écrivain dans le champ littéraire et la manière singulière d’occuper cette position dans l’espace de l’écriture. La « posture » selon Meizoz désigne un point de rencontre des conduites verbales et non verbales de la présentation de soi dans l’espace culturel et médiatique (entretiens, articles de presse, émissions télévisées, blogs, etc.), d’une part, et de l’ethos discursif inscrit dans le langage et appartenant selon lui à une poétique, d’autre part. Ce rapprochement théorique interpelle l’Analyse du discours, qui privilégie la notion d’ethos dans son sens large pour mieux souligner la dimension communicationnelle et interactionnelle de l’échange littéraire.

Tout en s’interdisant de confondre l’image de l’écrivain que projette un personnage fictionnel mis en scène par un auteur avec l’identité réelle de l’auteur généralement signalée par son nom sur la couverture et en prenant soin de distinguer le sujet biographique, l’écrivain (acteur de l’espace littéraire), et l’inscripteur (sujet de l’énonciation) (Maingueneau, 2004), l’Analyse du discours parle en termes de communication littéraire et cherche avec la notion d’« ethos auctorial » à conceptualiser les passerelles qu’il convient d’établir entre texte et contexte. Toutefois, en s’attachant aux praxis langagières, le concept de « scène d’énonciation » élaboré par Dominique Maingueneau (1993 ; 2004), concerne essentiellement l’acte de dire, l’énonciation, plutôt que le dit, l’énoncé. L’ethos projeté dans des écrits où l’auteur peut aisément infléchir son image dans le sens désiré et ce faisant orienter la critique de manière plus ferme, comme dans les correspondances, les entretiens ou les préfaces, est un objet d’étude plus identifiable que l’ethos auctorial inscrit en creux dans l’espace fictionnel. La spécificité et la difficulté du récit de fiction par rapport à tous les autres types d’échanges verbaux résident dans l’appartenance des interlocuteurs de l’échange littéraire à des mondes référentiels différents. À travers des procédés d’évitement, d’exhibition, de diffraction, l’auteur imprègne le texte d’une présence souvent fluide et insaisissable. C’est sur ce point précis que se pose la question : comment parler d’un auteur réel en nous référant à un texte fictionnel ?

La narratologie classique avait tenté d’éviter le problème en isolant l’espace textuel pour mieux explorer les structures et les stratégies narratives mises en œuvre dans un récit. Toutefois, les notions d’« auteur implicite » et de « narrateur non fiable » inaugurées par Wayne C. Booth (1962), puis reprises et retravaillées par la critique narratologique et la poétique, l’intérêt pour des productions narratives et culturelles dans leurs dimensions individuelle et sociale, ainsi que les options interdisciplinaires qu’empruntent souvent les études narratologiques actuelles, témoignent de la double difficulté d’ignorer et de cerner la présence diffuse de l’auteur dans la fiction.

 

Usages actuels

Aujourd’hui, la critique dans son ensemble rejette le piège d’un dualisme qui prétend dissocier ce qui est de l’ordre de l’indissociable ou enterrer l’auteur sous une myriade de doubles. Dans le sillage de Mikhaïl Bakhtine, elle défend les forces dynamiques de la création et de l’échange. Les mots écrits et le monde inventé proviennent d’une source d’énonciation originelle. Même s’il perd dans la fiction toute possibilité d’énonciation explicitement assumée, l’auteur demeure malgré tout l’instance souveraine qui décide de cacher ou d’exhiber les coulisses de la fiction. Les combinaisons, les ruptures et les intrusions énonciatives et narratives effectuées dans le texte résultent de ses choix personnels. Lui seul décide de la porosité ou au contraire de l’étanchéité des frontières qui séparent les mondes de la fiction et de la réalité. Parce c’est l’auteur qui s’adresse au lecteur en sa qualité de créateur des personnages et d’organisateur du récit, et non le narrateur qui raconte l’histoire des personnages comme s’ils existaient vraiment, nous sommes essentiellement confrontés à une interrogation sur le positionnement de l’auteur par rapport à son œuvre et au lecteur pour qui il écrit. C’est bien dans ce rapport que s’élabore en partie l’image de soi de l’auteur dans son texte.

Toutefois, si l’on ne peut se défaire de la notion d’auteur, un renouvellement des approches critiques problématise l’idée de « souveraineté auctoriale », et les termes du débat se trouvent dès lors redéfinis. Ainsi, les études cognitives du récit qui insistent sur la dynamique intersubjective du narrateur/auteur et du lecteur prennent en compte la capacité d’anticipation des attentes du lecteur et l’impact de cette projection sur la construction de l’image de soi de l’auteur (Butte, 2004 ; Zunshine 2006). On remarque également une entrée massive de la littérature fictionnelle dans une réflexion inquiète sur l’auteur et son image. Autofictions, bio-fictions, égo-fictions, ou autres formes romanesques du « je auctorial », mettent en scène l’instabilité de la notion d’auteur à travers une quête identitaire qui prolonge l’interrogation critique tout en tenant compte des apories de la notion d’auteur et des illusions qu’elle engendre (Pluvinet, 2012). Dans les écrits de Borges, Calvino, James, Kundera, Woolf, Rouaud, et jusqu’aux écrivains d’extrême contemporanéité, l’auteur se fait voir et entendre à travers une image qui est la sienne et qui est nécessaire à tout acte de lecture. Mais cette image s’inscrit désormais dans le processus dynamique de la création dont l’issue nous échappe. Enfin, si l’image de l’auteur est reliée à une conception de la littérature et aux fonctions de l’écrivain dans la société (Boyd, 2009), la révolution numérique a inévitablement bouleversé les processus de construction de l’image d’auteur, son statut et les stratégies mises en œuvre pour sa reconnaissance. La prise en compte de ces changements mène à une réévaluation d’un ensemble d’écrits dont les modes de production, de régulation, de circulation et de réception ont changé non pas nécessairement parce que l’on pense de manière différente la littérature et l’auctorialité, mais parce que les moyens techniques bouleversent les donnes traditionnelles.

 

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Michèle Bokobza Kahan, « Image d'auteur », dans Anthony Glinoer et Denis Saint-Amand (dir.), Le lexique socius, URL : http://ressources-socius.info/index.php/reeditions/197-image-d-auteur, page consultée le 28 mars 2024.

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