Troisième partie. La distribution
Chapitre V. L’acte de publication
I. Publication et création
Il ne faut pas confondre l’histoire de l’édition et l’histoire du livre. Imprimé ou non, le livre n’est que le plus récent et le plus répandu des moyens employés pour reproduire une œuvre littéraire en vue de sa publication, mais il n’est pas le seul. Le théâtre, par exemple, montre qu’on peut concevoir l’acte de publication dans une société ignorant l’écriture1. De nos jours, le cinéma, la radiodiffusion, la télévision donnent à la publication audiovisuelle une efficacité supérieure à celle de la publication imprimée.
La constante sémantique du mot « publier » et de son ancêtre latin publicare est l’idée d’une mise à la disposition anonyme. Publicare simulacrum, c’est élever une statue sur une place, publier les bans d’un mariage, c’est faire connaître à toute personne connue ou inconnue un projet par nature privé. L’emploi le plus ancien de ce mot que cite Littré date du xiiie siècle et, appliqué à des biens mobiliers, signifie « vendre à l’encan ».
Retenons cette idée de la mise à l’encan de l’œuvre, ce passage délibéré et presque brutal du secret de la création à la lumière anonyme de la place publique. Il y a là une sorte de violence consentie, de profanation acceptée, d’autant plus choquante pour la sensibilité commune qu’il s’y mêle des considérations financières : publier commercialement une œuvre qu’on a tirée de soi-même, c’est un peu se prostituer ─ publicare corpus, dit Plaute.
Mais publier l’œuvre, c’est aussi la parachever par son abandon à autrui. Pour qu’une œuvre existe vraiment en tant que phénomène autonome et libre, en tant que créature, il faut qu’elle se détache de son créateur et suive seule son destin parmi les hommes. Tel est le symbolisme des « grandes premières » ou encore du « vernissage » des expositions de peinture : par le vernissage, le peintre s’interdit toute nouvelle retouche, abdique sa tutelle sur sa créature et la déclare née en la mettant à l’encan de la cimaise.
Car il s’agit bien d’une naissance. Cette violence créatrice est celle des accouchements ; effraction, séparation douloureuse d’une part, mise en circulation d’un être nouveau autonome et libre de l’autre. Toutes proportions gardées, on peut assimiler le rôle de l’éditeur à celui d’un accoucheur : ce n’est pas lui la source de vie, ce n’est pas lui qui féconde ni qui donne une part de sa chair, mais sans lui l’œuvre conçue et menée jusqu’aux limites de la création n’accéderait pas à l’existence.
Ce n’est là que l’aspect essentiel de la fonction éditoriale. Il y en a bien d’autres, et pour que la métaphore fût complète, il faudrait que notre accoucheur fût aussi conseiller prénatal, juge de vie et de mort sur les nouveau-nés (voire avorteur), hygiéniste, pédagogue, tailleur, orienteur, et... marchand d’esclaves.
II. Développement historique
L’éditeur est un personnage récent dans l’histoire des institutions littéraires. Mais dès une époque très reculée des moyens ont existé pour multiplier la parole écrite et diffuser les œuvres. Souvent, l’auteur s’en est chargé lui-même. La lecture publique était un des modes de publication en faveur dans l’Antiquité et, même après l’invention de l’imprimerie, elle est restée et reste un des moyens les plus commodes pour essayer une œuvre sur un public réduit. Le cas le plus pittoresque de diffusion par l’auteur est peut-être celui des yomiuri, ancêtres des journaux japonais : après les avoir rédigés, l’auteur les imprimait puis les vendait lui-même dans les rues en criant les passages essentiels.
Toutefois, dès la plus haute Antiquité également, existèrent des spécialistes de la diffusion. Ce furent tout d’abord les conteurs ambulants qui se livraient et se livrent encore dans bien des pays au colportage oral d’œuvres souvent traditionnelles, mais parfois originales. Il y a là une forme de publication incontestable, mais limitée2.
Rien de sérieux ne se fit avant l’apparition du livre, et tout d’abord du livre manuscrit. À Athènes, dès le ve siècle et à Rome à l’époque classique existent des ateliers de scribes (scriptoria) que des entrepreneurs emploient à recopier des manuscrits. Les copies étaient ensuite mises en vente dans de véritables librairies. Il y a donc une industrie et un commerce du livre. Les plus forts « tirages » mentionnés (et ils sont rares) ne dépassent jamais quelques centaines d’exemplaires, mais l’idée d’édition prend forme et substance. Il est intéressant de noter que les Romains ont fait appel pour la noter à la racine du verbe edere qui veut dire « mettre au monde, accoucher » : c’est le sens qu’il a encore pour Virgile et Ovide, mais un demi-siècle plus tard, Pline porte un jugement d’éditeur moderne quand il parle de libelli editione digni.
Comme il est fréquent, l’idée précède les moyens techniques. Ces derniers se sont fait attendre quatorze siècles. Avec l’imprimerie, l’accent est d’ailleurs sur la publication, c’est-à -dire la mise à la disposition anonyme, plutôt que sur l’édition. En ce sens, on peut dire que la publication de la Bible a été un des facteurs déterminants de la Réforme. Ajoutons que cette publication technique est renforcée par la publication linguistique que constitue l’emploi de la langue vulgaire. Mais les premiers imprimeurs sont déjà des éditeurs-accoucheurs. Leurs choix ont un caractère créateur. Ainsi c’est à Caxton, qui les a imprimés parmi les premiers, que Chaucer, Gower, Lydgate, Malory, etc., auteurs déjà anciens, doivent une résurrection à la vie littéraire que leur maintien en manuscrit leur eût probablement interdite.
Les premiers imprimeurs étaient aussi des hommes d’affaires, comme le prouvent les nombreux livres « fonctionnels » mais très demandés qu’ils imprimèrent. D’autre part, les livres de chevalerie, qui étaient d’une vente facile et sûre dans l’aristocratie, figuraient parmi les favoris des presses de Caxton. Son successeur, Wynkyn de Worde, établit dans Fleet Street une boutique pour la vente au détail qui fut une des premières librairies d’Angleterre au sens moderne du mot.
À la fin du xve siècle, il existe déjà de très grandes entreprises commerciales, comme celle d’Anton Koburger, imprimeur nurembergeois qui possédait 16 magasins de vente et des agents dans les principales villes de la chrétienté, ou encore celle d’Aldo Manuzio à Venise. Au xvie siècle, c’est en France la dynastie des Estienne, c’est aux Pays-Bas celle des Plantin et celle des Elzévir. On connaît le rôle joué par les Pays-Bas jusqu’au xviiie siècle comme marché mondial du livre3. Dans la plupart des pays, se forment des Corporations ou Guildes d’imprimeurs dont l’activité est strictement réglementée pour des raisons d’ailleurs plus politiques que commerciales.
Cependant les puissants imprimeurs, absorbés par la complexité croissante de leur industrie, durent très rapidement abandonner à des spécialistes la vente au détail de leur fabrication, leur déléguer tout ou partie de leur fonction commerciale. Ainsi apparut le libraire. C’est dans la deuxième moitié du xvie siècle que le mot libraire cesse en France de s’appliquer au copiste ou au bibliothécaire (sa forme anglaise a conservé ce dernier sens) pour désigner le marchand de livres. Vers la même époque apparaissent le bookseller en Angleterre et le buchhandler en Allemagne.
La frontière est d’ailleurs imprécise entre les deux professions et les lettres-patentes de 1618 en France groupent imprimeurs et libraires en une même communauté. Jusqu’à la fin du xviiie siècle, il est difficile de dire lequel des deux est le responsable moral et financier de l’édition, lequel assume les risques de l’investissement et fait son affaire des recours divers qui pourraient être exercés contre l’ouvrage. Traditionnellement, ce rôle ingrat est dévolu à l’imprimeur, mais, de plus en plus, le libraire en a sa part. Au début du xixe siècle, la législation napoléonienne tranche le débat au profit d’un troisième larron en désignant à toute publication un éditeur responsable ─ l’équivalent du mythique gérant des journaux français.
Mais à cette date il y a déjà un demi-siècle que le personnage de l’éditeur existe : c’est l’entrepreneur qui, reléguant l’imprimeur à la fonction technique et le libraire à la fonction commerciale, prend l’initiative de l’édition, en coordonne la fabrication avec les besoins de la vente, traite avec l’auteur et les divers sous-traitants et, d’une manière générale, ordonne les actes isolés de publication en une politique générale d’entreprise. Autrement dit l’exploitation capitaliste se substitue à l’exploitation artisanale.
Cette substitution s’explique par la promotion économique, politique et culturelle de la bourgeoisie. C’est à ce moment, nous l’avons vu, que la littérature cesse d’être le privilège des lettrés. La bourgeoisie promue exige une littérature à sa mesure : le public lisant augmente en quantité tandis qu’une révolution se produit dans ses goûts : romans réalistes ou sentimentaux, poèmes préromantiques et romantiques seront désormais des ouvrages à grand tirage et à grande diffusion dont le financement exige la mise en œuvre du puissant système économico-financier qui prospère dans les autres branches de l’activité industrielle et commerciale.
La publication de la Pamela de Richardson, prototype du roman anglais, est en 1740 un excellent exemple d’entreprise capitaliste appliquée à l’édition. Richardson était une sorte d’imprimeur officiel du gouvernement britannique, président de la Corporation des libraires (Stationers). Deux de ses confrères de Londres, Rivington et Osborn, s’associèrent à lui pour publier un recueil de lettres-modèles du type « Parfait Secrétaire » à l’usage des dames de la bourgeoisie, dont Richardson, doué d’un beau brin de plume, devait fournir lui-même le texte. C’était le type même de la publication fonctionnelle. De là , par une série de transformations, le génie de Richardson tira Pamela, roman épistolaire « accouché » par l’initiative non littéraire d’un groupe d’industriels et de commerçants du livre.
Parmi les maisons d’édition actuelles, un certain nombre ont été créées comme telles : c’est par exemple le cas de John Murray, qui accompagna dans son ascension le romantisme britannique. Mais l’imprimerie en a fourni beaucoup, comme Plon en France, alors que d’autres sont venues de la librairie comme Hachette. Il existe d’ailleurs encore des imprimeurs-éditeurs et des libraires-éditeurs.
Au cours de la première moitié du xxe siècle, la fonction éditoriale a subi, en France particulièrement, une dernière transformation qui correspond au déclin du capitalisme et à la promotion des masses. Beaucoup d’éditeurs, reculant devant les frais accrus que comporte l’exploitation commerciale proprement dite, la délèguent à des entreprises spécialisées comme la maison Hachette ou la maison Chaix. Il est encore difficile de dire quel sera l’effet de cette pratique sur l’évolution ultérieure de la fonction éditoriale.
III. La fonction éditoriale
Réduite à ses opérations matérielles, la fonction éditoriale peut se résumer par trois verbes : choisir, fabriquer, distribuer. Ces trois opérations sont solidaires et, chacune dépendant des autres en même temps qu’elle les conditionne, elles forment un cycle qui constitue l’acte d’édition.
À ces trois opérations correspondent respectivement chacun des trois services essentiels d’une maison d’édition : comité littéraire, bureau de fabrication et département commercial. C’est l’éditeur qui coordonne leur action, lui donne un sens et en prend la responsabilité. Même quand l’éditeur est anonyme et la politique de la maison fixée par un conseil d’administration, il faut qu’il ait un individu ─ directeur, conseiller, administrateur ─ pour donner à l’acte d’édition le caractère personnel et indivisible qui lui est indispensable.
Un éditeur peut rester éditeur même s’il délègue à des spécialistes ses diverses fonctions techniques : sélection, fabrication, distribution. L’essentiel est qu’il garde la responsabilité morale et commerciale de l’ensemble.
Le problème unique de l’édition est d’amener un fait individuel à la vie collective et chacune des fonctions techniques que nous avons énumérées correspond à un type de relations entre l’individu et la collectivité.
La sélection suppose que l’éditeur (ou son délégué) se représente un public possible et taille dans la masse des écrits qui lui sont soumis ce qui convient le mieux à la consommation de ce public. Cette représentation a un caractère double et contradictoire : elle comporte d’une part un jugement de fait sur ce que désire le public possible, sur ce qu’il achètera, d’autre part un jugement de valeur sur ce que doit être le goût du public étant donné le système esthético-moral du groupe humain à l’intérieur duquel se déroule l’opération. D’où cette double interrogation qui se pose à propos de tout livre et à laquelle on ne peut répondre que par un hypothétique compromis : le livre est-il vendable ? Le livre est-il bon ?
Pris entre les propositions des auteurs et les exigences du public telles qu’il se les représente, l’éditeur moderne ne se limite d’ailleurs pas au rôle passif du conciliateur. Il essaie d’agir sur les auteurs au nom du public et sur le public au nom des auteurs, en un mot de se procurer un public et des auteurs mesurés l’un sur l’autre.
L’idéal, pour un éditeur, est de trouver un auteur « à suivre ». En effet les hasards et les frais du lancement sont assumés une fois pour toutes et, l’efficacité d’un auteur étant reconnue, on peut, sans trop de risques, lui demander de continuer à produire selon le prototype éprouvé. Lié par un contrat de longue durée, l’auteur entre alors dans l’« écurie » de l’éditeur. C’est cette écurie qui, jouant le rôle de collectivité-témoin, donne son ton, son style, à la maison d’édition. Elle est en général dominée par une personnalité, celle de l’éditeur lui-même (Julliard) ou d’un de ses conseillers (Jean Paulhan chez Gallimard). Grâce à son équipe de lecteurs (qui sont souvent des auteurs-maison), l’écurie détermine la sélection et infléchit même la production des nouveaux écrivains désireux de s’intégrer à elle.
D’autre part, l’éditeur agit sur le public en provoquant des habitudes. Ces habitudes peuvent prendre la forme de modes, de snobismes, voire d’engouements passagers pour la personnalité d’un auteur, ou bien avoir une origine plus profonde et traduire une fidélité à telle forme de pensée, à tel style, à tel type d’ouvrage. Une des plus anciennes et des plus typiques de ces habitudes littéraires sciemment entretenues sinon entièrement provoquées par un éditeur fut le « byronisme4 ».
Une formule particulièrement rentable est celle de la collection spécialisée possédant une unité de direction, de présentation et d’intérêt. Elle permet d’une part de canaliser les auteurs vers des types de productions à l’efficacité éprouvée, d’autre part de satisfaire une demande bien précise, bien délimitée et toujours présente. C’est le cas de la Série blême de Gallimard ou des Vies quotidiennes d’Hachette. On peut même aller jusqu’à encadrer la collectivité-public afin de mieux la tenir en mains et d’établir entre elle et l’équipe d’auteurs des liens quasi personnels. Cela se fait couramment pour les genres aux traits particulièrement accusés, comme le roman policier, d’anticipation scientifique, de suspense, etc., au moyen de magazines spécialisés, de clubs, de bulletins de liaison. Il se crée alors une doctrine et une esthétique du genre, et la communauté public-auteurs possède alors ce signe de toute conscience collective naissante : une orthodoxie5.
On retiendra de ceci que toute sélection suppose un public théorique au nom duquel et au bénéfice duquel le choix est fait, et un échantillonnage d’écrivains qui est censé refléter les besoins de ce public. Tout le jeu littéraire que mène l’éditeur se déroule en cycle fermé entre ces deux groupes définis d’avance.
La fabrication fait partie de ce jeu. Dès le début, de l’étude préliminaire à la fabrication, il faut « penser le public ». Selon qu’il s’agit d’un livre de luxe destiné à quelques centaines de bibliophiles ou d’un livre populaire à bon marché, tout change : le papier, le format, la marche typographique (choix des caractères, justification, densité des pages, etc.), l’illustration, la reliure et surtout le nombre des exemplaires à tirer. Dès ce moment, l’éditeur doit calculer le « coup » qu’il désire réaliser. En fait, il doit l’avoir déjà calculé au stade de la sélection : le livre ayant été choisi pour telles et telles qualités à l’intention de tel ou tel public, il doit avoir telles caractéristiques matérielles bien déterminées.
Le tirage est évidemment la plus importante de ces caractéristiques. Trop faible, il étale sur un nombre insuffisant d’exemplaires les frais fixes de fabrication (lecture et préparation du manuscrit, composition, correction, mise en page, mise en machine) qui sont, de loin, les plus lourds, et suppose un prix de vente qui risque de mettre l’ouvrage hors de portée de son public éventuel. Trop fort, il gonfle démesurément l’offre et rend inévitable le déficit par mévente, car l’industrie du livre est une des rares industries où le produit fabriqué invendu ait moins de valeur que la matière première6.
Pour les autres caractéristiques de l’ouvrage, ce n’est pas seulement le volume du public théorique qui doit entrer en ligne de compte, mais sa nature, ses besoins fonctionnels et tout particulièrement sa psychologie. L’usage de la couverture illustrée nous est récemment venu d’Amérique. Dans le choix de cette couverture, l’éditeur doit tenir compte des diverses « motivations » qui poussent le client éventuel à acheter le livre. En fait, si le dessin est bien choisi, il doit constituer une véritable leçon de critique littéraire et traduire graphiquement l’analyse esthético-psychologique à laquelle l’éditeur s’est livré pour faire sa sélection7.
Nous retrouvons ici les avantages de la collection dont la maquette et le tirage optimum ont été étudiés une fois pour toutes.
On voit que, pour l’éditeur, la fabrication continue la sélection. Le jugement porté sur l’œuvre ne fait que prendre forme. L’éditeur traduit techniquement, par des décisions matérielles, l’équilibre que, dès le début, il a tenté d’établir entre les écrivains qu’il propose et le public qu’il suppose ou suscite.
Reste la distribution proprement dite, c’est-à -dire en général la vente, bien qu’il existe des livres distribués gratuitement. À vrai dire, la vente est presque indispensable pour que le fait littéraire soit complet. Byron remarquait un jour qu’obliger un parfait inconnu à sortir une monnaie de sa poche (geste qui n’est jamais ni involontaire, ni indifférent) pour acheter un livre, est la consécration véritable de l’écrivain, le signe de sa puissance.
Dans les pays capitalistes, la distribution est la partie la plus délicate de l’acte de publication qui tout entier converge vers elle comme un drame vers son dénouement. C’est là que se trouve la réussite ou l’échec. Dans le budget d’un livre, les frais de distribution représentent plus de la moitié du prix de vente8.
L’éditeur se trouve devant un problème difficile : celui de trouver et de toucher dans la réalité ce public théorique que, depuis le début, il suppose ou cultive. Il emploie pour cela un certain nombre de techniques publicitaires.
La plus simple et la première est l’inscription du livre dans une liste bibliographique comme il en existe dans la plupart des pays (par exemple la Bibliographie de la France, publication hebdomadaire du Cercle de la Librairie). C’est là que les libraires et les bibliothécaires apprendront la publication du livre. Cette publicité anonyme peut être doublée par l’action personnelle de voyageurs munis d’exemplaires spécimens. Une publicité commerciale du type normal (annonces dans les journaux, voire affiches ou étalages) s’adresse directement au public. Ce type de publicité est moins employé en France ou en Angleterre qu’aux États-Unis, par exemple, où le lancement d’un livre s’opère, mutatis mutandis, selon le même schéma que celui de n’importe quel produit commercial9.
L’inconvénient des techniques publicitaires habituelles est qu’elles s’adressent au public en général et non au public que vise l’éditeur : sur 1 000 personnes touchées par la publicité, il n’y en a peut-être que dix ou vingt supposées susceptibles de s’intéresser au livre, alors que les 1 000 peuvent s’intéresser à un savon, à une marque d’apéritif ou à un article ménager. Pour qu’elle soit rentable, il faut concentrer la publicité sur les dix ou vingt personnes qui ont une chance, si lointaine qu’elle soit, d’être influencées par elle. La difficulté, malheureusement, est que ces personnes peuvent être cent ou peuvent être deux et que d’autre part, elles ne sont jamais les mêmes selon le type du livre. Nous revenons au caractère limité et personnel de l’acte de publication. Ainsi s’explique la préférence accordée aux moyens de propagande non anonymes, et notamment aux articles de presse signés.
Cela peut être l’article d’un « courriériste » (chargé dans un journal de l’information littéraire) ou le feuilleton d’un critique possédant une clientèle de lecteurs habitués à suivre ses indications. Un soin particulier est accordé au service de presse. Chaque volume, signé par l’auteur, est accompagné d’un feuillet, le « prière d’insérer », qui est en somme un modèle idéal d’article (élogieux, bien entendu). Beaucoup de journaux mineurs se contentent de le démarquer et d’y ajouter une signature. Infiniment plus intéressant est l’article du critique-maison dans un journal qui se trouve avoir une clientèle correspondant à peu près au public théorique. On emploie tous les moyens de pression pour obtenir cet article car le plus fécond des critiques ne peut guère « débiter » plus de deux cents ouvrages par an : les services de presse comportent toujours d’énormes déchets. Peu importe d’ailleurs que l’article soit défavorable : le tout est qu’on parle du livre et une mauvaise presse est tout aussi rentable qu’une bonne. Un « massacre » peut valoir une fortune.
La télévision, avec son caractère direct, personnel, a introduit un type de critique extraordinairement efficace où l’auteur lui-même parle à son public les yeux dans les yeux. On a constaté que dans les heures qui suivent l’interview d’un auteur sur l’écran, son livre subit une poussée de ventes qui peut atteindre des proportions considérables.
Il faut ajouter à ces diverses techniques publicitaires celles qui consistent à utiliser une sélection, par exemple le choix du meilleur livre du mois ou le prix littéraire. Une ou deux voix dans tel prix renommé est un atout qu’on n’oublie pas sur une bande.
Autre procédé encore, mais plus difficile à manier, car il est à double tranchant : la publication du livre dans un journal ou un magazine soit in extenso, soit sous forme d’extraits, soit sous forme de résumé. Le problème ─ très délicat ─ consiste à aiguiser l’intérêt du lecteur sans déflorer l’ouvrage10.
Le but de toutes ces techniques est de rallier le public théorique disséminé dans l’ensemble de la population. L’idéal serait évidemment de le grouper une fois pour toutes et de le garder groupé. C’est à cela que correspondent les Clubs du Livre dont le but est au fond de substituer le « sur mesure » à la confection. Repéré, fiché, lié parfois par contrat, le lecteur éventuel ne peut plus s’échapper.
Il en va de même dans les pays dirigistes et particulièrement dans les pays socialistes. En U.R.S.S. par exemple, l’invendu est relativement rare car, libérée du souci de la concurrence, l’édition possède les moyens d’adapter l’offre à la demande et la demande à l’offre.
Dans les pays capitalistes, la situation de l’éditeur est infiniment plus précaire. À partir du moment où le livre est lancé, son sort échappe aux mains de l’éditeur. La mise en vente proprement dite est régie par les mécanismes très particuliers du commerce de la librairie : il en sera question plus loin. Le livre se conduit un peu comme ces premières fusées téléguidées dont la plus grande partie retombaient avant d’avoir pu prendre leur trajectoire alors que quelques-unes échappaient à tout contrôle pour entreprendre un vol erratique et imprévisible. De même la majorité des livres publiés (en France 60 à 70 % de la production) tombent sans atteindre un volume de ventes rentable, et l’éditeur n’y peut rien. De temps en temps au contraire, un ouvrage franchit les limites des prévisions les plus optimistes et devient un best-seller. La courbe de vente varie selon un rythme apparemment inintelligible dès qu’elle franchit une limite critique (en général, en France, c’est le « mur des 100 000 »). L’éditeur ne peut alors que suivre à l’aveuglette par des tranches successives de fabrication.
La cause de cette perte de contrôle est assez claire : elle se produit au moment où l’ouvrage dépasse les limites du public théorique pour lequel il est conçu. Il évolue alors dans des régions sociales non prospectées et non repérées. L’impossibilité de prévoir ses réactions à ce moment illustre la faiblesse du système. L’acte de publication n’est créateur qu’en apparence. En réalité il se déroule en circuit fermé à l’intérieur d’un même groupe social. L’œuvre inadaptée à ce groupe, non viable, échoue, incapable de chercher ailleurs un public plus accueillant mais que la nature même du choix initial qui a permis la publication rend inconcevable. Nous verrons que ce public de rechange peut éventuellement surgir moyennant une « trahison créatrice ». Mais cela ne dépend pas de l’éditeur.
Pas davantage ne dépend de lui le phénomène du succès, qui reste aussi rare qu’imprévisible : rappelons simplement que sur les quelque 100 000 ouvrages parus en France entre 1945 et 1955, à peine 1 sur 1 000 a franchi le « mur des 100 000 ». On voit que l’éditeur n’a pas, sur le destin de ses nouveau-nés, beaucoup plus d’influence positive que le médecin-accoucheur auquel nous le comparions. Par contre, son influence négative est considérable, car les êtres qu’il met au monde ne jouissent que d’une liberté factice strictement limitée au circuit social pour lequel ils ont été mis au jour.
Chapitre VI. Les circuits de distribution
I. Les limites du circuit
II n’y a pas de relation directe entre la valeur d’un livre et l’ampleur de son public, mais il y en a une fort étroite entre l’existence d’un livre et l’existence d’un public. De même la valeur d’une monnaie ne se mesure pas à l’importance numérique de la population du pays qui l’a émise, mais une monnaie n’a pas de signification sans un pays où elle ait cours.
Dans quelles frontières a cours le livre ? Les deux premières qui viennent à l’esprit sont la frontière de la langue et celle de l’analphabétisme. Comprendre la langue d’un livre et être capable de le lire sont les deux conditions indispensables à son utilisation.
Les grands blocs linguistiques de population lisante sont le bloc anglais (300 millions vers 1980), le bloc chinois (300 millions), le bloc russe (250 millions), le bloc espagnol (110 millions), le bloc allemand (65 millions), le bloc japonais (70 millions) et le bloc français (50 millions)11. À l’intérieur de chacun de ces blocs existe une circulation littéraire autonome plus ou moins fractionnée par les institutions politiques et les frontières nationales, mais il s’en faut que cette circulation ait partout la même intensité.
C’est la traduction qui permet d’établir entre les blocs linguistiques un certain équilibre mécanique. Le dépouillement régulier de l’Index Translationum publié par l’U.N.E.S.C.O. depuis 1950 permettra sans doute de mettre en lumière les grandes lois qui régissent les courants de traduction. Il apparaît d’ores et déjà que ces courants sont de trois types :
- Les courants idéologiques à l’intérieur d’un même ensemble socio-politique. De ce type relèvent les courants émanant du bloc russe et se dirigeant soit vers les unités linguistiques intérieures à l’U.R.S.S., soit vers les blocs linguistiques mineurs des pays appartenant à la sphère d’influence soviétique, soit vers les minorités communistes des autres blocs.
- Les courants de pool entre blocs gros producteurs et gros consommateurs : c’est ainsi que les blocs anglais, français et allemand mettent en commun 10 à 20 % de leur production littéraire.
- Les courants d’équilibre entre zones de haute pression et zones de basse pression littéraire. Les zones de haute pression sont les blocs gros producteurs mentionnés ci-dessus, mais aussi et surtout les petits noyaux linguistiques à haute culture dont la population littéraire surabondante sature aisément la population lisante et cherche un débouché dans la traduction : c’est le cas des Pays-Bas ou des pays scandinaves. Quant aux zones de basse pression elles se trouvent surtout dans les pays jeunes et à forte natalité où l’évolution culturelle rapide de la population crée un besoin de lectures que ne peut encore satisfaire la production intérieure : par exemple le Japon et l’Amérique latine.
Les frontières nationales (qui ne coïncident pas toujours avec les frontières linguistiques ou culturelles) offrent également des cadres pour la circulation du livre. Même dans des pays qui, comme la France, sont fortement exportateurs, soit par traduction, soit par vente directe d’ouvrages, la grande majorité de la production est réservée au marché intérieur. Législations douanières protectionnistes (notamment entre pays concurrents d’un même bloc linguistique comme le Royaume-Uni et les États-Unis) et restrictions monétaires accentuent la « balkanisation » de la littérature. Mais même des législations plus libérales comme en souhaiterait l’U.N.E.S.C.O. ne résoudraient pas le problème. C’est que la loi ne voit dans le livre que l’objet matériel et ne considère que la valeur de fabrication. En réalité, il faudrait tenir compte de la valeur réelle d’échange culturel en fonction de tel ou tel milieu, de tel ou tel groupe. Selon la structure économico-sociale de deux pays, selon la place qu’occupe dans leur hiérarchie nationale la fonction culturelle, un même livre n’a pas, de l’un à l’autre, la même signification, la même définition.
Il faut donc étudier le mécanisme de la distribution littéraire en fonction d’unités à la fois plus générales et plus simples que les nations ou les blocs linguistiques qui sont déjà des structures complexes. En réalité, tout groupe social possède ses besoins culturels, donc sa littérature propre. Ce groupe peut être un sexe, un âge, une classe, et l’on parlera de littérature féminine, enfantine, ouvrière. Chacune de ces littératures possède son système d’échange particulier, mais, bien qu’il y ait des magazines féminins, des librairies d’enfants et des bibliothèques ouvrières, il s’en faut que chacune dispose d’institutions propres. Il y a des recoupements et des doubles emplois, voire des mutations qui font que certaines œuvres passent d’un système à l’autre.
Le groupe social qui possède l’identité littéraire la plus nette est le groupe culturel. Nous avons d’ailleurs vu que la catégorie des « lettrés » est à l’origine de la notion même de littérature. Les lettrés, qui ont à l’origine constitué une caste fermée, ne s’identifient de nos jours ni avec une classe, ni avec une couche sociale, ni même avec un groupe socio-professionnel. On pourrait définir les lettrés comme les personnes ayant reçu une formation intellectuelle et une éducation esthétique assez poussée pour avoir la possibilité d’exercer un jugement littéraire personnel, ayant des loisirs suffisants pour lire et disposant de ressources permettant l’achat régulier de livres. Notons qu’il s’agit d’une définition potentielle et non réelle : de nombreux lettrés n’ont aucune opinion littéraire, ne lisent jamais et n’achètent jamais de livres, mais ils pourraient le faire.
Ce groupe des lettrés correspondait jadis à l’aristocratie. Il s’est ensuite identifié à la bourgeoisie cultivée dont le bastion culturel était l’enseignement secondaire classique. Il a maintenant reçu l’appoint des travailleurs intellectuels (notamment des membres de l’enseignement, qui forment le gros de ses forces), des travailleurs artistiques et d’une partie (faible il est vrai) des travailleurs manuels formés par l’enseignement primaire ou moderne. Il correspond à ce que nous avons appelé le « milieu littéraire » où se recrute la majorité des écrivains. C’est là aussi que se recrutent tous les participants du fait littéraire, de l’écrivain à l’universitaire historien de la littérature, de l’éditeur au critique littéraire. Ces personnages qui « font » la littérature sont tous des lettrés. Le fait littéraire lettré se déroule en circuit fermé à l’intérieur du groupe, ainsi que nous l’avons vu en étudiant le mécanisme de l’acte de publication.
Par opposition au circuit lettré, nous appellerons (faute d’un meilleur mot) circuits populaires les systèmes de distribution s’adressant aux lecteurs auxquels leur formation permet un goût littéraire intuitif, mais non un jugement explicite et raisonné, auxquels leurs conditions de travail et d’existence rendent la lecture malaisée ou inhabituelle, auxquels enfin leurs ressources interdisent l’achat fréquent de livres. Ces lecteurs appartiennent quelquefois à la petite bourgeoisie, mais ce sont surtout des employés, des travailleurs manuels et des agriculteurs. Ils ont des besoins littéraires de même importance, de même type, de même qualité que les lecteurs du circuit lettré, mais ces besoins sont toujours satisfaits de l’extérieur. Ils n’ont eux-mêmes aucun moyen de faire connaître leurs réactions aux responsables de la production littéraire, écrivains ou éditeurs. Alors que la librairie lettrée est un lieu d’échange, l’établissement de base des circuits populaires est un « débit » de livres ou un simple point de vente12. On n’y participe pas au jeu littéraire.
II. Le circuit lettré
Prenons le cas d’une librairie d’importance moyenne comme il en existe des milliers dans toutes les villes du monde. Le stock effectif comprend 5 000 à 6 000 titres, la plupart à un ou, à la rigueur, deux exemplaires. Sur cette quantité, 400 titres trouvent place dans la vitrine et 1 200 sur les étals intérieurs.
La production française de livres est de l’ordre de 20 000 à 22 000 titres par an. Même si les affaires marchent bien et si le stock se renouvelle rapidement, on ne peut s’attendre à trouver dans cette librairie plus d’une fraction de ces titres. C’est une fraction de cette fraction qui est offerte sur les étals intérieurs au client assez intéressé pour pénétrer dans le magasin, c’est-à -dire déjà intégré au circuit commercial de la librairie. C’est une infime fraction de cette fraction de fraction qui, pendant un temps d’ailleurs assez bref, est proposée au grand public par l’étalage.
Cela revient à dire que le libraire, comme l’éditeur, taille dans la masse des écrits qui lui sont proposés ce qui lui paraît propre à la consommation d’un public limité. La sélection du libraire diffère de celle de l’éditeur en ce que le public de l’éditeur est un public théorique et celui du libraire un public réel qui se manifeste directement, c’est-à -dire une clientèle. Une autre différence est que le manuscrit refusé par l’éditeur n’accède pas à l’existence littéraire, alors que le livre non mis en vente par tel ou tel libraire existe déjà et continue d’exister. Autrement dit, la sélection de l’éditeur fait la littérature, alors que celle du libraire y crée des hiérarchies.
Il existe des librairies dont le stock et surtout le système d’approvisionnement13 sont adaptés à n’importe quel type de demande, mais elles sont fort peu nombreuses. Une statistique de 1945, citée par la Monographie de l’édition, dénombre en France 203 « librairies d’assortiment général ». Ce chiffre n’a que légèrement augmenté.
En France, la librairie est restée relativement artisanale. Cependant, dans les années 70, se sont développées des librairies du type « grande surface » dont la F.N.A.C. est l’exemple le plus connu. Le système commercial dont relèvent ces librairies, qui disposent de stocks énormes et pratiquent le libre-service, leur permet de consentir à leurs clients des remises (discount) considérables. La libération du prix du livre en 1979 a conduit à une situation où les librairies de type traditionnel, et notamment les moyennes et petites librairies, n’étaient plus en mesure de soutenir la concurrence. La loi Lang de 1981 a rétabli le prix fixe, mais il s’en faut de beaucoup que cette mesure ait réglé les problèmes économiques de la librairie dont le plus grave est l’approvisionnement. Les pays socialistes ont créé dans les principales villes des Maisons du Livre dont l’assortiment est aussi complet que possible et où les librairies peuvent s’approvisionner14.
La librairie est toujours d’un maniement économique difficile. Le poids, toujours menaçant, des invendus peut, en quelques mois d’une politique d’achats maladroite, déprécier complètement la valeur du fonds. C’est pourquoi, quelle que soit leur importance, les grandes librairies sont tenues de garder avec leur clientèle un contact personnel par l’envoi périodique de catalogues à des clients fichés, par des relations d’homme à homme, par la spécialisation de certains rayons ou succursales et aussi par l’autorisation donnée aux acheteurs éventuels de « bouquiner » dans les rayons15. Aussi les zones d’implantation favorites des librairies d’assortiment général sont-elles les zones urbaines où le voisinage d’une université entretient une vie intellectuelle intense : en France, par exemple, ce sont, par ordre d’importance, les vie, viiie, viie et ve arrondissements de Paris, Lille, Lyon, Bordeaux, Marseille, Strasbourg, Toulouse, etc.
C’est à la librairie moyenne que revient le rôle de la diffusion territoriale du livre « littéraire ». On peut considérer qu’il y a en France 3 500 librairies moyennes, soit une pour 12 000 habitants. Ce chiffre est certainement un des plus élevés du monde16. En effet dans certains pays le nombre des points de vente peut être plus élevé, mais il s’agit ici des librairies ayant une politique commerciale originale et autonome.
Cette autonomie et cette liberté supposent l’existence d’un stock assez important pour permettre des manipulations commerciales, mais assez limité pour ne pas exiger des immobilisations de capitaux démesurées. C’est, nous l’avons vu, sur une clientèle que le libraire modèle ce stock. À l’examen d’une vitrine, on peut deviner le voisinage d’une faculté, d’une cathédrale, d’un lycée, d’une usine, d’un théâtre, voire dessiner à grands traits la structure socio-professionnelle de la population avoisinante.
La spécialisation est un des procédés par lesquels la librairie moyenne oriente et limite son activité. Un cas typique et fréquent est celui de la librairie classique vivant en marge d’un établissement scolaire. Le plus souvent elle joint à la librairie le commerce de la papeterie et des fournitures scolaires. Dans bien des cas, la liste des livres employés dans les classes est établie par l’établissement en accord avec le libraire qui connaît ainsi par avance la nature et le volume des commandes à effectuer. Le système présente pour l’établissement l’avantage de voir ses demandes immédiatement satisfaites. Des symbioses de ce genre existent toutes les fois qu’une librairie se trouve au contact d’un organisme social ayant des besoins réguliers et évaluables de lectures fonctionnelles. À côté des librairies classiques, il existe des librairies techniques, religieuses, médicales, etc. où les échanges se produisent en cycle fermé à l’intérieur d’une étroite collectivité.
Une autre spécialisation est celle de la librairie d’art qui bien souvent, est aussi une librairie d’occasion. On peut évaluer à 7 ou 8 % la proportion des librairies moyennes qui se livrent exclusivement au commerce de l’occasion, mais le marché du livre de seconde main échappe pour le moment à toute statistique : c’est encore un beau terrain de recherche. Limité à un cercle d’amateurs, il n’intéresse que faiblement la consommation proprement littéraire, sauf dans un certain nombre de cas particuliers dont il sera question plus loin.
L’implantation des librairies moyennes se livrant au commerce du livre littéraire neuf est beaucoup plus régulièrement répartie que celle des librairies d’assortiment général. Toute petite ville d’une certaine importance possède la sienne. Dans le département de la Gironde, par exemple, la proportion est de 1 pour 10 000 habitants dans l’agglomération bordelaise et de 1 pour 11 000 habitants dans l’ensemble du département.
Mais en réalité, la librairie moyenne, dès qu’elle sort du domaine des lectures fonctionnelles, ne s’adresse qu’à certaines couches sociales bien définies. Elle ne s’adresse notamment pas à la classe ouvrière, ni à la classe paysanne. Comme le fait remarquer Benigno Cacérès : « Les librairies qui vendent des romans de qualité [...] ne se trouvent pas, à de rares exceptions près, sur le même circuit que le travailleur17 ». Sur son circuit quotidien, le travailleur trouve le marchand de journaux, le bureau de tabac, le magasin à prix uniques, l’étal du camelot, et c’est là qu’éventuellement il s’approvisionne en lectures.
Il est révélateur de comparer la vitrine d’une librairie moyenne de quartier à celle d’un « débit de livres » situé dans les mêmes parages ─ marchand de journaux ou bureau de tabac. Les deux étalages coïncident par un certain nombre de titres : types d’ouvrages dont l’éventail social est très ouvert, comme les romans policiers, best-sellers qui ont franchi le « mur des 100 000 », grands classiques de la littérature en éditions bon marché, etc., mais la masse du fonds diffère radicalement. Nul ne songerait à demander du Péguy au bureau de tabac, ni à la librairie le dernier paru des « romans du cœur ». Ce qui est plus grave, c’est qu’un ouvrier et un intellectuel achetant l’un et l’autre le Major Thompson ne s’adresseront pas au même établissement.
Retenons que l’immense majorité des librairies moyennes correspond à ce que nous avons appelé le circuit de la littérature lettrée ─ celle qui plus tard trouvera (ou cherchera) sa place dans les manuels de littérature. Leur clientèle comprend surtout des membres de la bourgeoisie éduquée et des professions libérales, artistiques ou intellectuelles, c’est-à -dire à une population lisante possible de l’ordre d’un à trois millions de personnes en France où la population lisante réelle est de l’ordre de 30 millions.
On aura une idée de l’exiguïté du circuit de la littérature lettrée en examinant la liste des ouvrages français dont le tirage a dépassé 10 000 exemplaires en 1956, liste publiée par Les Nouvelles littéraires18. Cette liste n’est pas exhaustive, mais il est clair qu’elle contient la presque totalité des œuvres ayant fourni aux Français l’essentiel de leur nourriture littéraire « lettrée » pendant l’année. On constatera les faits suivants :
- La totalité des exemplaires représentés par cette liste est de 4 300 000 sur les quelque 150 millions mis en circulation par l’édition française dans le même temps, soit 3 % ;
- La liste comprend 166 titres sur les quelque 3 000 classés « littéraires » dans la production française de 1956, soit 3,5 % ;
- Figurent sur la liste 19 éditeurs sur les quelque 750 pouvant être considérés comme en activité effective en 1956, soit 2,5 %.
Bien entendu, nous ne tenons compte ici ni des livres fonctionnels, ni des demi-succès, ni des échecs, ni des lectures littéraires universelles (du type roman policier) dont vivent la plupart des librairies. Mais ces indications suffisent pour montrer que ce qu’on appelle la vie littéraire d’un pays comme la France (où elle est particulièrement active) est un jeu qui se déroule entre un nombre réduit de participants.
Sans toujours s’en rendre compte, le libraire est un des meneurs de ce jeu. L’équilibre commercial de son entreprise l’oblige à exercer une vigilance constante non seulement sur la production (notamment en lisant les nouveautés sur lesquelles la critique attire son attention), mais encore sur les réactions d’une clientèle qu’il est souvent appelé à conseiller. En général personnage influent dans son quartier ou dans sa ville, il est, pour l’intelligentsia locale, un conseiller de lectures : des sondages montrent que le conseil du libraire est un des facteurs décisifs du démarrage d’un succès (le développement du succès échappant à son contrôle). D’autre part il est, pour l’éditeur, le baromètre de la popularité : en France, par exemple, rares sont les éditeurs qui se risquent à enfreindre le tabou placé par les libraires sur le recueil de contes ou de nouvelles (pour des raisons commerciales d’ailleurs parfaitement explicables).
Pour compléter le tableau du circuit lettré, il faut citer un dernier homme de liaison : le critique littéraire. Les auteurs disent souvent du mal de lui et les éditeurs ont tendance à le craindre. Il ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité. Le rôle véritable de la critique littéraire est d’être un échantillonnage du public. Le critique appartient au même milieu social que le lecteur du circuit lettré, il a la même formation. On trouve chez lui une variété d’opinions politiques, religieuses, esthétiques, une variété de tempéraments, qui sont à l’image de celles qu’on trouve chez ce lecteur, mais il y a communauté de culture et de style de vie. Sans même tenir compte des jugements exprimés, le seul fait que la critique parle de certaines œuvres et non de certaines autres est déjà un choix significatif : bon ou mauvais, un livre « dont on parle » est un livre socialement adapté au groupe. Si l’erreur la plus fréquente de la critique est de bouder un livre qui s’avère être un best-seller (et rarement le contraire), c’est justement parce qu’un best-seller est, nous l’avons vu, un livre qui échappe au groupe.
La prétendue éducation du goût par le critique n’est au fond que l’explicitation des diverses orthodoxies qui régissent le comportement du public lettré. Il suffit d’examiner la clientèle des journaux par lesquels s’expriment les grands critiques « créateurs » pour s’apercevoir qu’ils prêchent à des convertis et n’atteignent guère ceux qui, éventuellement, pourraient avoir besoin d’une « éducation », c’est-à -dire d’une formation analogue à la leur. Il est certain que l’ascendant de certains critiques (particulièrement ceux qui écrivent dans les journaux provinciaux et s’adressent à un public faiblement encadré) leur permet d’exercer une influence sur le choix des lectures, mais les sondages, encore une fois, prouvent que cette influence n’est pas plus forte que celle du libraire et surtout que celle des conseillers de lecture les plus fréquemment cités : le cousin de Paris, l’instituteur ou le curé19.
Pour l’éditeur, la critique a la valeur objective d’une opinion littéraire dont elle est le porte-parole. La pré-critique des comités de lecture se modèle sur la critique tout court et le désir de tout éditeur est d’avoir une équipe de lecteurs qui soit un échantillonnage du public théorique sur l’image duquel il réglera ses choix.
Le circuit de la littérature lettrée présente donc l’aspect d’une série de sélections successives se limitant les unes les autres. Le choix que l’éditeur fait dans la production des auteurs limite le choix du libraire qui lui-même limite le choix du lecteur, et ce choix, d’une part répercuté par le libraire jusqu’au département commercial, d’autre part exprimé et commenté par la critique, puis traduit et amplifié par le comité de lecture, limite à son tour les choix ultérieurs de l’éditeur et, par voie de conséquence, les possibilités offertes aux talents éventuels.
Cette interaction négative enferme les participants dans un cercle de plus en plus étroit. La concentration des talents et des moyens matériels dans cette zone sociale trop réduite conduit à un gaspillage regrettable. S’il est peu probable que les comités de lecture aient jamais totalement ignoré un grand talent, il est certain, que nombre d’excellentes œuvres n’ont pas bénéficié des chances qu’elles méritaient, faute d’une distribution suffisamment large au départ. La forte proportion d’échecs qu’enregistrent les plus grands éditeurs (cela peut aller jusqu’à 60 ou 70 % des titres publiés) dans un pays où 80 % de la population est culturellement sous-alimentée prouve que la distribution en circuit fermé n’offre que l’alternative du gaspillage ou de la stérilisation.
III. Les circuits populaires
La distribution commerciale des lectures de type littéraire aux masses est principalement assurée par des « débits de livres » et des établissements du type bureau de tabac ou kiosque à journaux se livrant de manière accessoire à la vente des livres. Selon que l’on y ajoute ou non les points de vente secondaires comme le rayon du supermarché, l’évaluation de leur nombre en France varie de 4 000 à 18 ou 20 000. C’est en fait une catégorie qui finit « en queue de poisson » et à laquelle il est difficile d’assigner un critère minimum fixe. En effet il faudrait tenir compte des étals temporaires des bouquinistes, marchands forains, colporteurs, etc. : certains indices permettent de penser que le nombre de points de vente total, tous types de librairies compris, serait voisin de 100 00020 !
Un tel chiffre permet évidemment une répartition territoriale maximum. Aux États-Unis, où le nombre des grandes et moyennes librairies est, par rapport à la population, trois ou quatre fois plus faible qu’en France, les drug-stores des villes et les general stores des petites agglomérations fournissent un réseau commercial extrêmement dense qui est exploité par l’édition.
D’autre part, l’association du commerce du livre à d’autres commerces (papeterie courante, journaux, tabac, alimentation) place le livre sur les trajets de la vie quotidienne. On n’a plus à faire l’effort d’entrer dans la librairie. Cet effort est moindre encore quand le livre va se proposer au lecteur au moment où il a loisir de lire : à la gare dans le kiosque à journaux, à la sortie du travail dans l’étal du bureau de tabac, du marchand ambulant, ou même à domicile dans l’assortiment du colporteur.
Le colporteur est un personnage qui disparaît de nos pays, tué par les moyens de communication rapides, mais il existe encore et joue un rôle important dans les pays où la diffusion du livre est encore inadéquate aux nouveaux besoins culturels des masses, notamment en Amérique latine. En Chine, le régime communiste l’a même intégré au système officiel de distribution. On trouvera dans le livre déjà cité de Charles Nisard, Histoire des livres populaires ou de la littérature de colportage, des indications précieuses sur le « circuit du colportage » en France au milieu du xixe siècle, avec ses principaux centres de production où se trouvent les éditeurs spécialisés : Paris, Troyes, Epinal, Nancy, Châtillon-sur-Seine, Tours, Le Mans, Lille, etc.
L’essentiel de cette littérature du colportage se compose d’almanachs innombrables dont, de nos jours, l’Almanach Vermot ou l’Almanach Hachette, malgré plusieurs modernisations, conservent encore les traits essentiels sous une affabulation moins naïve. À côté des almanachs figuraient dans la botte du colporteur des livres d’astrologie et de magie « pour dames », des recueils de bons mots et d’anecdotes, des ouvrages de conseils religieux, moraux, sentimentaux et pratiques, avec quelques traditionnelles recettes de cuisine ou de médecine, des récits d’aventures ou de voyage, des romans sentimentaux, des classiques littéraires éprouvés par des générations et souvent adaptés ou résumés, et toujours, partout, des illustrations qui soulagent l’attention du lecteur. II est facile de voir à cette description que le relais du colportage a été pris au milieu du xxe siècle par le magazine féminin, de l’horoscope aux conseils du cœur en passant par le roman sentimental et l’illustration obsédante.
Partout, sur les circuits de distribution populaires, le livre se trouve associé à la presse quotidienne ou hebdomadaire qui constitue, nous l’avons vu, dans la plupart des pays, l’essentiel des lectures et qui a pris la place des anciens moyens de diffusion orale (ces derniers prenant d’ailleurs maintenant une revanche partielle grâce aux techniques audiovisuelles du cinéma, de la radio et de la télévision, avec lesquelles le livre populaire possède également des liens étroits). Il est donc normal que le mécanisme de distribution du livre populaire soit du type « messageries de presse » plutôt que du type librairie. Toute l’initiative est concentrée entre les mains du distributeur-grossiste. Le détaillant n’est plus qu’un dépositaire.
Nous avons vu que beaucoup d’éditeurs délèguent une partie de leur fonction commerciale à des entreprises spécialisées dont la plus connue et la plus puissante en France est celle des Messageries Hachette. Ces entreprises emploient pour la presse comme pour le livre un système qui comporte notamment la mise en dépôt d’office d’un certain nombre d’exemplaires chez les débitants abonnés et, naturellement, la reprise des invendus.
Le système des offices est employé (mais non exclusivement) par les éditeurs et certains libraires du circuit lettré. C’est alors un coup de filet à l’aveuglette. À la sortie du livre, le distributeur place une partie de l’édition (3 500 à 5 000 exemplaires en France) sur des points de vente repérés. Cela explique que l’étalage d’un kiosque de gare puisse être aussi riche en « nouveautés » que celui d’une grande librairie centrale. Mais la plupart de ces nouveautés reprendront tôt ou tard, plus ou moins défraîchies, le chemin du dépôt.
Quand il s’agit d’articles éprouvés et d’une vente sûre comme les romans policiers ou les « romans du cœur » dont il sera question plus loin, la publication est encadrée dans une collection ou une série à périodicité régulière et la distribution prend le caractère d’une vente-abonnement. Chaque dépositaire connaît approximativement le nombre d’exemplaires qu’il vendra et s’approvisionne en conséquence.
La cascade de sélections successives qui caractérise le circuit lettré ne peut exister ici. Il n’y a pas de « retour » possible du public vers l’éditeur. La nécessaire adaptation du livre aux besoins du lecteur est obtenue par le procédé mécanique de la standardisation. Un certain type d’œuvre ayant un succès assuré auprès du public, on reproduit inlassablement le prototype en variant simplement l’affabulation. Charles Nisard, dans son ouvrage sur la littérature de colportage, montre l’origine médiévale de tels récits sentimentaux reproduits à satiété par les brochures à 4 sous des colporteurs. Les 4 sous sont devenus 0,25 ou 0,50 F. mais, mises au goût du xxe siècle, les histoires sont rigoureusement les mêmes dans nos « romans du cœur » : la dactylo a remplacé la bergère dans la nouvelle idylle21. De même la Pamela de Richardson, édulcorée et multipliée par le roman féminin du xviiie siècle (Nisard cite Mme Cottin, mais il y en a bien d’autres), aboutit à l’immense famille des romans de Delly qui constituent à eux seuls un genre littéraire et ont été les imbattables best-sellers de plusieurs générations22. Renouvelant une vieille tradition d’épopée populaire, Walter Scott, éditeur besogneux, a mis au point le prototype du roman historique qui s’est rapidement évadé du circuit lettré pour devenir, par Alexandre Dumas et ses imitateurs contemporains, un des favoris de la littérature populaire.
Dans ce mécanisme impitoyable, le mouvement naturel est celui de la dégradation. Il n’y a renouvellement, progrès, que lorsque, par hasard, une œuvre échappe à la littérature lettrée et fait irruption dans un milieu social plus vaste. Mais aussitôt elle est happée par les rouages, réduite à ses caractères immédiatement efficaces et grossièrement reproduite en série jusqu’au complet épuisement de la demande, qui peut se faire attendre des siècles.
Toutefois les nouvelles techniques de diffusion de masse ont considérablement modifié les données du problème au cours de la dernière génération. De plus en plus souvent, des œuvres qui seraient restées prisonnières du circuit lettré s’évadent en prenant appui sur la presse, le disque, la radiodiffusion, la télévision ou le cinéma.
Le cas du cinéma et de la télévision est le plus fréquent et le plus spectaculaire. « Lisez le livre du film » est devenu un slogan publicitaire des plus efficaces. Il est vrai qu’on se contente en général du film ou, ce qui est pire, du « récit tiré du film » dans lequel se sont spécialisés un certain nombre de magazines. Seule une vaste enquête permettrait de dire dans quelle mesure le cinéma et la télévision font lire ou, au contraire, évitent de lire.
Il ne fait pas de doute, par contre, que le disque a sauvé la poésie lyrique, orale par nature et qui s’étiolait dans la page imprimée. De Villon à Prévert, le poète populaire a retrouvé son vrai milieu par la vertu du tourne-disque et du juke-box.
Le rôle de la presse et de la radiodiffusion est plus évident. S’ils agissent sur le public « lettré » par la critique, ils agissent sur l’ensemble du public par les moyens infiniment plus efficaces du feuilleton, de la bande dessinée ou de l’adaptation. Quelques exemples permettent de penser que la publication en bande dessinée d’un classique de la littérature dans un quotidien à grand tirage ou la diffusion d’un feuilleton radiophonique provoquent immédiatement un afflux d’acheteurs du circuit populaire. Ces influences mériteraient d’être précisées.
L’efficacité de la radiodiffusion, de la télévision et du cinéma pour faire entrer une œuvre dans les circuits populaires vient d’une part de ce qu’ils font subir à cette œuvre une sorte d’examen d’aptitude à l’adaptation sociale (parfois il est vrai désastreusement) et d’autre part qu’ils apportent cette œuvres littéralement dans la vie quotidienne, qu’ils la placent sur le chemin quotidien du lecteur populaire. Leur défaut est que tout cela se passe unilatéralement, sans intervention directe d’un public qui reste passif. C’est une « littérature octroyée ».
Nous avons ici une situation inverse de celle du circuit lettré. Dans ce dernier, la pléthore des producteurs pour une base de consommation insuffisamment large, la demande sans cesse renouvelée à l’intérieur d’un système fondé sur des sélections successives conduit au gaspillage et à la stérilisation. Dans les circuits populaires, le manque de producteurs socialement adaptés, la remise de l’initiative au distributeur, l’immensité et l’anonymat d’une demande qui ne s’exprime pas mais qui consomme conduisent d’une part à l’usure et à la dégradation mécanique des formes littéraires, d’autre part à l’aliénation de la liberté culturelle des masses.
Le problème est d’équilibre. C’est pourquoi les efforts de ceux qui tentent soit de rendre la santé à la littérature « lettrée », soit de créer une vraie littérature populaire tendent à abattre les murs qui séparent circuit « lettré » et circuits populaires. Nous examinerons rapidement quelques-uns des procédés qui sont employés pour forcer le blocus social de la littérature.
IV. Les forceurs du blocus
On peut distinguer quatre types de procédés : les procédés commerciaux traditionnels, les procédés commerciaux hétérodoxes, le prêt et le dirigisme.
L’idée la plus simple est en effet d’étendre au circuit populaire la production et la diffusion du circuit lettré sans modifier les méthodes commerciales. La solution est alors l’édition bon marché du livre lettré qui peut être mise en vente au niveau du débit de livres. Ce n’est pas chose nouvelle et la hotte du colporteur contenait déjà des « romans à quatre sous » portant les signatures de De Foe, de Swift, de Perrault, de Florian, de Bernardin de Saint-Pierre, etc. Mais la plupart de ces œuvres étaient des classiques, non des nouveautés. Or il est essentiel qu’il n’y ait pas de décalage chronologique et que le public « bon marché » participe à la vie littéraire active en même temps que le public « cher ». Plusieurs tentatives ont eu lieu, en France notamment, entre les deux guerres. C’est seulement en 1935 (début de l’ère des Monoprix) que vint d’Angleterre la première réussite avec le livre-monoprix (six pence) de la collection « Penguin ».
La collection « Penguin » comptait plus de 1 000 titres vingt ans après sa fondation (ce qui, on le notera par parenthèse ne représente qu’une proportion minime de l’énorme production britannique de livres littéraires). Sa couverture rouge et blanche était devenue célèbre dans le monde entier. D’abord composée de rééditions d’œuvres récemment parues en hard cover (édition cartonnée chère), la collection « Penguin » procède maintenant parfois à des éditions originales. Au « Penguin » normal (qui possède en Amérique une version à couverture illustrée) se sont ajoutés le « Penguin » vert des romans policiers, le « Pélican » bleu consacré aux lectures fonctionnelles et le « Puffin » pour enfants. Il est impossible d’évaluer le chiffre de vente exact des « Penguin », mais on mentionnait vers 1955 un tirage total de 20 millions d’exemplaires par an, chiffre qui, s’il est exact, représente 7 à 8 % de la production britannique.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la nécessité de distribuer des lectures aux troupes, puis les besoins de la propagande ont stimulé aux États-Unis la production d’éditions analogues aux « Penguin » : le « Signet Book », le « Bantam Book » et surtout le « Pocket Book » dont la France possède maintenant l’équivalent avec le « Livre de Poche ». Il existe dans la plupart des pays des éditions du même genre (qui, comme le « Penguin », rendent hommage à la zoologie et notamment à l’ornithologie), par exemple les livres « Marabout » en Belgique, les livres « Alcotan » (Faucon) en Espagne (Barcelone) et les « Libri del Pavone » (Paon) en Italie (Milan).
La caractéristique commune de ces livres est leur bon marché : ils représentent chacun une demi-heure à deux heures du salaire moyen d’un ouvrier.
L’efficacité du livre bon marché est incontestable. La collection « Penguin » a produit un effet salutaire et durable sur la littérature anglaise. C’est, pendant la Deuxième Guerre mondiale, le « Penguin New Writing » qui a donné leur chance aux jeunes talents dans des circonstances difficiles. Mais, dans le cadre des méthodes commerciales traditionnelles, le livre bon marché n’est rentable (donc possible) que s’il s’adresse à un public assez vaste pour permettre de très gros tirages. Dans les pays capitalistes, le bloc linguistique anglais est le seul qui offre des masses suffisantes.
La solution peut être alors de renoncer au marché du livre traditionnel avec son inévitable et coûteuse cascade : éditeur, distributeur, libraire. C’est ce que font les clubs du livre dont nous avons déjà parlé. En général, les clubs du livre ne s’adressent pas à une clientèle populaire, mais il en est quelques-uns qui offrent à prix bas des éditions de classiques et de nouveautés. Malheureusement ces dernières sont en général des rééditions assez tardives car (sauf, encore une fois, dans le bloc linguistique anglais) les éditeurs n’aiment guère autoriser immédiatement ce qui peut être une concurrence dangereuse pour un livre déjà difficile à vendre. D’autre part, les clubs du livre souffrent d’un grave handicap : celui de travailler par correspondance. Si ingénieux que soit le système de prospection, le geste qui consiste à répondre à une annonce demande un effort plus coûteux encore que celui qui consiste à entrer dans une librairie.
La logique indique de supprimer cet effort en recourant au « porte-à -porte ». C’est revenir au colportage, technique employée couramment pour placer de gros ouvrages comme dictionnaires ou encyclopédies. Il est plus rare de voir la méthode appliquée à la vente d’ouvrages littéraires. Il en existe pourtant quelques exemples.
Dans son article déjà cité des Informations sociales, Gilbert Mury cite l’expérience des Jeunes Auteurs réunis à laquelle il participe. Cette société revient assez curieusement à la tradition des yomiuri japonais puisque les auteurs sont éditeurs, distributeurs et, s’ils ne sont point eux-mêmes vendeurs, du moins font-ils faire la prospection directe du public par des démarcheurs à leur solde : « Le porte-à -porte est pratiqué par des jeunes gens qui vont tirer les cordons de sonnette, visiter les consommateurs des cafés et des restaurants, se présenter au personnel de diverses administrations ─ en particulier aux enseignants ─ pour leur offrir un certain nombre d’ouvrages23 ». L’ingénu « en particulier aux enseignants » de Gilbert Mury fait penser que le procédé permet de « récurer » le circuit lettré, mais non vraiment d’en sortir. Il est certain toutefois que les Jeunes Auteurs réunis sont parvenus à obtenir des chiffres de vente qu’envierait maint éditeur patenté. Se débarrasser du libraire est d’ailleurs un rêve que caressent beaucoup d’éditeurs.
Quels que soient les mérites du porte-à -porte on ne peut l’envisager sérieusement comme un moyen de diffusion généralisé. Si tous les romans devaient se vendre ainsi, chaque foyer français devrait s’attendre à recevoir chaque jour la visite de plusieurs démarcheurs, chargés chacun d’une impressionnante valise de spécimens. L’accueil cesserait sans doute assez rapidement d’être cordial.
Au-delà de la vente, il reste le prêt. L’efficacité du prêt est prouvée par le succès du prêt-vente (reprise de l’ancien livre et vente du nouveau moyennant un faible versement) dans les circuits populaires. C’est le système qu’emploient les rayons de livres des Pharmacies Boot’s en Angleterre. C’est aussi celui qu’emploie le marchand de romans du cœur qui dispose son étal à la sortie de l’usine.
Notons d’ailleurs que l’achat d’un livre est une opération économiquement absurde si elle ne suppose pas une utilisation répétée de ce livre. Or rares sont les romans qu’on relit, rarissimes ceux qu’on relit trois ou quatre fois dans une existence. Acheter à fonds perdus un livre qu’il ne lira qu’une fois est, pour un ouvrier français moyen, payer la minute de lecture d’une minute de travail ou davantage, alors que le cinéma procure des jouissances plus vives (notamment d’ordre social) au taux d’une minute de spectacle pour vingt secondes de travail. Dans d’autres pays, la différence est plus accusée encore. Il ne faut donc pas s’étonner que la majorité des lecteurs de bibliothèques populaires interrogés sur ce qui les pousse à fréquenter ces établissements répondent : « Le coût des livres24 ».
Nous n’insisterons pas sur les bibliothèques, auxquelles des travaux solides et nombreux ont été consacrés. Il suffira d’indiquer qu’elles sont particulièrement développées en Angleterre où le nombre des inscriptions dans les bibliothèques publiques a, en 1975, dépassé 13 500 000, le nombre des ouvrages prêtés approchait de 600 millions. Les frontières du circuit lettré sont, on le voit, largement franchies. La France, qui faisait encore piètre figure en 1977 avec 3 600 000 inscrits et 80 millions d’ouvrages prêtés, a opéré un redressement spectaculaire. Dans chaque département des bibliothèques centrales de prêt alimentent des bibliothèques locales, souvent municipales. Le démarrage se fait souvent par une bibliothèque d’enfants qui est fondée à l’initiative de quelques personnes et fait rapidement « tache d’huile ». La lecture d’enfance et de jeunesse a été un puissant moteur pour attirer au livre de nouveaux lecteurs. Il convient d’ajouter, comme nous le verrons plus loin, qu’au lecteur inscrit représente plusieurs lecteurs réels25. Cela est particulièrement vrai des bibliothèques d’entreprise où les travailleurs empruntent des livres pour toute la famille.
La difficulté du prêt de bibliothèque est que le problème du stock est, dans une bibliothèque, infiniment plus grave que dans une librairie. Grâce au dépôt légal ou à des achats réguliers et coûteux, une bibliothèque centrale peut s’assurer un assortiment général. Malheureusement une bibliothèque centrale risque fort d’être ce que Benigno Cacérès appelle « un cimetière de livres » car elle est située en dehors des circuits populaires, ceux de la vie quotidienne : la décision d’entrer dans une bibliothèque centrale (où d’ailleurs le livre doit en général être consulté sur place) est une démarche plus difficile encore que celle d’entrer dans une librairie. Il faut donc « conduire le livre au lecteur » soit commercialement (bibliothèques circulantes privées, collection de prêt des petites librairies de quartier, rayon de prêt à l’anglaise des succursales de magasins, etc.), soit administrativement (bibliothèques publiques de prêt à branches multiples, bibliothèques d’entreprise sur le lieu du travail, bibliobus, bibliothèques de paroisse, de patronage, de syndicat, etc.). Mais alors le stock, si rapide qu’en soit la rotation, reste strictement limité et sujet, dans le premier cas à la sélection du libraire déjà mentionnée, dans le deuxième cas à celle du bibliothécaire, plus sévère encore parce que didactique.
Avec les meilleures intentions du monde, la directrice d’une bibliothèque centrale de prêt départementale déclare dans son rapport annuel : « Nous n’avons jamais cédé à la tentation de la facilité et nous avons toujours maintenu, dans la composition de nos envois, 1/3 au moins d’ouvrages documentaires. De plus, notre fonds comporte très peu de romans policiers et de romans sentimentaux faciles. Nous n’en prêtons que sur la demande expresse des dépositaires et jamais plus de 3 ou 4 par envoi. Nous préférons maintenir cette qualité du prêt plutôt que de céder à la tentation d’augmenter par des moyens faciles le nombre des prêts enregistrés26 ». C’est méconnaître que la « facilité » (entendons le caractère mécanique et stéréotypé) de cette littérature vient de ce que les romans policiers et les romans sentimentaux ne sont pas intégrés à un vrai système d’échange producteurs-consommateurs et que l’interdiction jetée sur eux ne peut qu’accentuer ce défaut en les livrant à l’impitoyable mécanique des circuits populaires. L’exemple de Georges Simenon prouve pourtant que le roman policier peut être à la fois populaire et lettré.
Nous avons vu surgir ici le danger qui menace tout dirigisme littéraire public ou privé : le souci didactique. C’est pourquoi commerçants ou organismes culturels laïques, confessionnels, politiques ou officiels sont impuissants à organiser une littérature populaire vivante, à donner aux circuits populaires une part de la vie surabondante qui consume le circuit lettré. À ce propos nous écrivions dans un article des Informations sociales : « Si ces tentatives, comme les faits nous le montrent, ont été des échecs, c’est qu’elles ont eu le défaut commun d’être extérieures au peuple lui-même. Elles ont toutes reposé sur l’idée qu’il fallait apporter quelque chose au peuple : levain spirituel, message, témoignage, divertissement [...]. Inconsciemment ou non, on a ignoré le fait que ce que nous appelons « littérature » a été le résultat et non la cause de l’éveil culturel d’une couche de la population au cours de trois siècles et que par conséquent une littérature vraiment populaire devra se dégager d’une vie culturelle spécifiquement populaire27 ».
Le régime soviétique semble être arrivé bien près d’une solution technique du problème. Les écrivains, que Staline appelait « les ingénieurs de l’âme », sont en contact direct avec les masses, soit par l’intermédiaire du parti communiste, soit par celui des organisations culturelles, soit simplement par leur mode d’existence. D’autre part, la distribution la plus large est assurée : le livre est partout, à l’usine comme à la ferme. C’est le manque de papier qui limite les éditions plutôt que la mévente. Enfin la pratique des réunions de clubs, des discussions, permet de dégager une opinion littéraire populaire qui est répercutée sur les auteurs sans que s’interpose l’écran commercial de l’éditeur ou du libraire. Malheureusement, il y a un écran tout de même : c’est l’idéologie. Là aussi, nous retrouvons le didactisme, tant est grande la tentation de tout organisateur culturel d’adapter les hommes aux institutions plutôt que les institutions aux hommes. Nous disions que le régime soviétique avait trouvé la solution technique du problème : il n’en a pas encore trouvé la solution humaine, comme le prouvent les crises qui agitent parfois le monde littéraire soviétique.
On voit qu’en dernière analyse le déséquilibre de la distribution répond au déséquilibre de la production, mais ces deux déséquilibres ne sont que des aspects partiels d’un même problème. Les solutions institutionnelles du type « Caisse des Lettres » pour la production ou du type « organisation culturelle » pour la distribution ne sont que des palliatifs techniques. La solution, si solution il y a, ne peut se trouver qu’au niveau du comportement des groupes humains envers la littérature, c’est-à -dire au niveau de la consommation.
Notes
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Le théâtre pose des problèmes particuliers que nous ne saurions aborder dans cette brève étude. Voir Duvignaud (Jean), Sociologie du théâtre ; essai sur les ombres collectives, Paris, Presses universitaires de France, 1965. Nous avons cependant utilisé des exemples tirés du théâtre toutes les fois que des problèmes communs ont été examinés.
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La limitation concerne la forme de l’œuvre diffusée, non l’aire de diffusion qui peut être considérable et dépasser celle d’un livre imprimé car un livre a besoin d’une librairie ou d’une bibliothèque, alors qu’il suffit au conteur d’une place de village.
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« Les libraires hollandais gagnent un million par an parce que les Français ont eu de l’esprit » (Voltaire, Mélanges littéraires).
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Le « byronisme » est une mode qui a été lancée par la publication des deux premiers chants de Childe Harold dont les caractéristiques avalent été soigneusement adaptées sur la demande de l’éditeur John Murray aux besoins du public romantique. II fut par la suite impossible à Byron de se dégager de cette mode. Murray le poussait à écrire selon la même ligne et s’arrangea toujours pour ne pas publier les œuvres de Byron qui pouvaient choquer les habitudes du public « haroldien ».
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On trouvera en France deux exemples typiques dans les magazines Fiction et Mystère Magazine, tous deux publiés par la même maison. En Angleterre, l’antique Hakluyt Society groupe les amateurs de récits de voyages et encourage les publications de ce type.
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Un ouvrage de littérature courant n’est guère rentable s’il est tiré à moins de 5 ou 6 000 exemplaires, mais il faut en vendre au moins 2 000 pour que l’opération ne soit pas déficitaire.
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Le choix du titre est essentiel pour la vente d’un livre. Quant à la bande, c’est un moyen de publicité très employé en France. En principe la bande doit souligner le titre ou atteindre directement une des « motivations » de la lecture. Plus intellectuel mais également efficace est le procédé qui consiste à donner à l’intention des « bouquineurs » une analyse du livre au verso ou sur un des volets de la couverture.
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On trouvera dans la Monographie de l'édition (Paris, Cercle de la Librairie, 1956) les formules compliquées qui servent à l’établissement du prix de vente au public. En gros, il faut multiplier le prix de revient du volume à la sortie de l’imprimerie par un coefficient qui peut varier de 3 à 5.
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L’Encyclopédie britannique indique que pour l’éditeur américain, la publicité représente 10 % du coût de la production. Les chiffres sont 6 % en Angleterre et 3 % en Allemagne.
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Une des réussites de cette pré-publication est évidemment le Major Thompson qui a bénéficié de sa publication à intervalles irréguliers dans Le Figaro.
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Cette évaluation, qui diffère légèrement de celle des précédentes éditions, est fondée sur des personnes de plus de 15 ans ayant appris à lire.
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En réalisant au Centre de Sociologie des Faits littéraires de Bordeaux un Atlas de la lecture à Bordeaux, on a mis en lumière l’existence topographique de deux circuits. Escarpit (Robert) et Robine (Nicole), Atlas de la lecture à Bordeaux, Bordeaux, Faculté des lettres et sciences humaines, 1963.
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Le problème du libraire qui fait une commande à un éditeur est d’éviter les frais de port qui peuvent absorber la plus grande partie de son bénéfice. Aussi les grandes librairies emploient-elles des commissionnaires qui groupent les envois. Le problème ne se pose évidemment pas pour les librairies situées à proximité des dépôts des éditeurs ou pour celles qui appartiennent aux éditeurs eux-mêmes. Dans certains pays (Pays-Bas, Danemark, Norvège, Suisse), il existe des centres d’expédition et de distribution du type coopératif.
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En Union Soviétique, les maisons d’édition appartiennent à l’État ou aux syndicats, la plus importante étant celle du Syndicat des Écrivains. La distribution est centralisée par un service du ministère de la Culture qui alimente les 25 000 librairies de l’Union, le service des ventes par correspondance et les bibliothèques.
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La Librairie Gibert offre en France un excellent exemple de ces divers procédés commerciaux.
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La Monographie de l’édition indique 203 librairies d’assortiment général, 2 611 librairies moyennes, 4 976 petites librairies en 1945 et estime à 17 000 le nombre des points de vente. Pour 1952, Books for all donne 3 535 libraires « vrais » employant en moyenne 12 personnes et 12 780 libraires en comprenant les marchands de journaux. Pour la même année l’Annuaire statistique de la France donnait 7 348 établissements se livrant au commerce du livre (classification décimale 764) dont 5 690 employant moins de 6 personnes. Cela montre l’extrême difficulté d’une évaluation, faute d’un critère valable.
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Cacérès (Benigno), « Comment conduire le livre au lecteur ? », Informations sociales, n° 1, 1957, p. 107. M. Cacérés est un spécialiste de l’éducation populaire.
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Les nouvelles littéraires, n° 1, 1957.
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Ces indications, fondées sur des sondages, sont sujettes à vérification et ne concernent que la France. Elles sont contredites par celles de l’éditeur allemand Eugen Diederich à la suite d’une enquête menée par cartes-réponses vers 1930. Les comptes rendus critiques sont cités par 17 à 18 % des lecteurs, les conseils d’amis ou parents par 14 à 17 % et les conseils du libraire seulement par 5 à 7 %.
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Nous comprenons dans ce chiffre certains points de vente à périodicité très longue comme ceux des foires, marchés, kermesses, etc. La carte d’implantation des débits de livres comparée à celle des grandes librairies révèle de curieuses différences. Alors que les grandes librairies sont surtout denses (hors Paris) dans le Nord, le Bas-Rhin, le Rhône, la Gironde, les Bouches-du-Rhône (départements universitaires), il apparait que le Midi (et particulièrement le Sud-Est) est la zone la plus riche en débits de livres avec trois noyaux particulièrement denses dans le Rhône, les Hautes-Pyrénées et la Haute-Garonne, les Bouches-du-Rhône, le Var et les Alpes-Maritimes. Il serait intéressant de comparer cette répartition à d’autres données économiques et démographiques.
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Charles Nisard cite le nom d’un certain Raban qui semble avoir été au xixe siècle le principal fabricant (nous n’osons dire auteur) de ce genre de romans.
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Dans un article cité par ailleurs, Benigno Cacérès cite parmi une liste de « romans du cœur » relevée dans les étalages, un Destin d’Inès, roman inédit par Paméla. Même en 1957, le nom garde sa fascination !
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Mury (Gilbert), « Une sociologie du livre est-elle possible ? », op. cit., p. 67.
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Renseignements recueillis par Mlle Nicole Robine au cours d’un sondage parmi les lecteurs des bibliothèques publiques de Bordeaux.
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On peut évaluer à 3,5 le coefficient par lequel il faut multiplier le nombre des livres vendus ou prêtés pour obtenir le nombre de lecteurs réels. En fait, onsait très peu de choses des prêts de la main à la main qui se font dans une famille, un immeuble ou un atelier. Ce que Benigno Cacérès appelle le « circuit prête-main » mériterait une étude approfondie.
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Rapport annuel de la Bibliothèque centrale de Prêt de la Dordogne (exercice 1954) présenté par Mme de La Motte.
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Informations sociales, n° 1, 1957, p. 11.