Interaction
Celia Bense Fereira Alves (Université Paris 8, CRESPPA-CSU) et Karim Hammou (CNRS, CRESPPA-CSU)
DÉFINITIONS
Action réciproque dans le sens commun, souvent utilisée en sociologie comme simple synonyme de relation sociale, l’interaction est, en tant que concept, une séquence dynamique d’actions sociales (ou conjointes) entre des individus ou groupes d’individus qui modifient leurs actions et réactions en fonction des actions anticipées et effectives d’autrui.
Le développement de la notion d’interaction est lié à l’évolution de la philosophie, de la sociologie, de la linguistique et de la communication dans le contexte des États-Unis de la fin du xixe siècle aux années 1930, puis des années 1960. La notion connaît aujourd’hui une certaine fortune dans les sciences sociales qui dépasse largement les cadres théoriques ayant présidé à sa conceptualisation et à son opérationnalisation dans des programmes de recherche spécifiques.
LA GENÈSE DU CONCEPT D’INTERACTION
Le concept d’interaction trouve son origine dans les tentatives, au tournant du xxe siècle, des philosophes et psychologues américains dits « pragmatistes » pour construire une méthode qui permette d’appréhender l’action et la conscience humaines d’une manière qui ne soit ni spéculative, ni liée à une doctrine a priori. Critiquant le doute cartésien et l’individualisme rationaliste, les principaux tenants de la philosophie pragmatiste (Charles S. Peirce, William James, Charles H. Cooley, John Dewey, George H. Mead) considèrent que la signification des concepts doit s’appuyer sur la réalité empirique et sur l’idée que l’action humaine ne peut être analysée uniquement à partir de l’étude de l’individu isolé de la société. L’action humaine doit donc être appréhendée en situation. S’intéressant tout d’abord à la conscience de soi, cette tradition développe l’idée que le soi s’élabore toujours par les relations sociales avec les autres. Ainsi Cooley suggère-t-il le concept de « looking-glass self », pour défendre la thèse que l’on est ce que l’on pense que les autres pensent que l’on est. Étendu à la compréhension de la société, ce concept lui permet de développer une théorie de l’identité de soi dépendante de groupes primaires (Cooley, 1909).
Dans leur tentative pour comprendre comment les êtres humains donnent un sens à leur environnement, les pragmatistes critiquent la psychologie causale. Choisissant d’étudier la relation que les êtres humains entretiennent entre eux à l’égard de certains objets concrets, ils observent que les individus adoptent simultanément le point de vue des autres individus présents à l’égard de cet objet, une perspective que W. E. B. Du Bois appliquera notamment aux relations de race dès 1903 (Rawls, 2000). Les actions humaines ne sont toutefois pas la simple somme de stimuli externes, d’intériorisations et de réactions extérieures que Dewey appelle « arc réflexe ». Selon ce dernier, c’est l’action dans son contexte qui détermine quels sont les stimuli pertinents (Dewey, 1896).
Le passage d’une philosophie pragmatiste à un pragmatisme sociologique va être initié par G. H. Mead au travers du behaviorisme social, psychologie visant à rendre compte de l’expérience d’un individu, du développement d’un soi et d’une conscience de soi dans cette expérience, en rapportant cette expérience au processus social au sein de laquelle elle émerge. Reprenant l’idée de Cooley, Mead envisage la conscience comme émergeant de l’interaction entre un organisme humain et son environnement : les êtres humains orientent leurs actions en anticipant les réactions des autres et ajustent simultanément leurs actions aux signes reçus. Réflexivité et dimension symbolique de l’interaction sont donc au cœur des relations sociales. Celles-ci sont autocontrôlées par le biais de ce que Mead appelle la socialisation : les individus adoptent l’attitude de l’autrui généralisé, c’est-à-dire les attitudes sociales de leur groupe social ou de leur communauté sociale dans son ensemble.
Ce processus n’est cependant pas homogénéisant car les individus se réfèrent à un ensemble d’attitudes organisées mais différentes. La communauté sociale est, en effet, constituée de sous-groupes qui obéissent à des logiques de socialisation distinctes, ce qui amène l’individu à adopter différents rôles en fonction du sous-groupe dans lequel il évolue, quitte à ce que ces rôles entrent parfois en conflit. D’autre part, la socialisation est un processus créatif non subi passivement par l’individu car elle ne se limite pas à la seule expérience de chaque individu. Pour Mead et Dewey, il y a donc créativité de l’agir.
L’INTERACTION AU CENTRE DE PROGRAMMES DE RECHERCHE
Analyser les interactions entre groupes sociaux
Dans un contexte d’immigration massive, d’industrialisation, et d’urbanisation fulgurantes, de politiques sociales réformatrices et de développement de la sociologie comme science empirique et engagée, ces propositions vont constituer un cadre théorique implicite pour la tradition sociologique qui se développe à l’Université de Chicago au travers d’études de cas empiriques.
En associant ethnographie et effort de reconstruction des points de vue des individus sur leurs tentatives pour résoudre des problèmes liées à leurs actions, W. I. Thomas est le premier à établir un lien fort entre pragmatisme et recherche sociologique. Il introduit la notion de définition de la situation, qui synthétise l’attention au sens que les acteurs accordent à leurs actions, à celles des autres et à leur environnement caractéristique du concept d’interaction. W. I. Thomas approfondit cette idée dans The Polish Peasant (1926), écrit avec F. Znaniecki, dans lequel il développe le concept d’attitude articulant définition de la situation et action.
Définie comme science des comportements collectifs par R. E. Park, la sociologie à Chicago s’empare de la notion d’interaction en considérant que l’action individuelle ne peut être appréhendée que comme collectivement constituée. Proche de Dewey, Park propose une interprétation des représentations collectives comme fruit des interactions sociales. Dans la lignée de son travail sur les aires naturelles, un ensemble d’études des problèmes urbains développent la notion de champ d’interaction qui prend en compte les dimensions temporelles et spatiales des divers contextes, et soulignent le caractère sans cesse fluctuant de structures qui se déterminent réciproquement par leurs interactions (Abbott, 1997).
Pour E. C. Hughes « la société est interaction ». Le sociologue déploie un programme empirique qui place la notion d’interaction au cœur de l’enquête dans un effort constant « pour lier aussi étroitement que possible, au cours de la démarche d’enquête, les dimensions objectives et subjectives des phénomènes sociaux » (Chapoulie, 1994, p. 106). Renouvelant l’analyse des institutions et des groupes sociaux, notamment par sa sociologie des professions et des relations interethniques, Hughes développe une lecture de la société en rupture avec l’idée fonctionnaliste d’un ordre social et politique unifié. H. Blumer approfondit et explicite les postulats et principes d’une approche en termes d’interaction. Il offre ainsi la première théorisation systématique de ce qu’il propose de qualifier d’« interactionnisme symbolique », l’adjectif « symbolique » venant souligner l’importance du premier des trois axiomes fondamentaux de cette approche :
« 1. Les humains agissent à l’égard des choses en fonction du sens que ces choses ont pour eux. 2. Ce sens est dérivé ou provient des interactions avec autrui. 3. C’est dans un processus d’interprétation mis en œuvre par chacun dans le traitement des objets rencontrés que ce sens est manipulé et modifié » (Blumer, 1969, traduit par De Queiroz et Ziolkowski, 1994, p. 31).
On peut donc dire du processus d’interaction qu’il s’agit, dans cette acception, d’actions sociales caractérisées par une orientation réciproque immédiate.
L’interaction au centre de la communication et du texte
En parallèle de l’orientation méso- ou macro-sociologique développée par la tradition de Chicago, le concept d’interaction est au cœur d’un profond renouvellement dans l’approche des relations interpersonnelles (en linguistique, psychologie ou sociologie de la communication).
Dans la perspective pragmatiste, le langage est le contenu de la conscience et n’est donc que le développement et le produit de l’interaction sociale. La communication est, quant à elle, un moyen de mettre en relation des individus et des systèmes symboliques. L’ordre social résultant non du fait que les individus pensent de la même manière, mais qu’ils communiquent en vue de résoudre des problèmes d’intérêt collectif. L’œuvre atypique et majeure d’Erving Goffman relève de cette démarche et analyse notamment en détail les interactions de face à face – l’influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres (Goffman, 1973, pp. 23-24). Cet ordre de l’interaction de face à face est gouverné par des « présuppositions cognitives et normatives partagées » et par des « conventions, normes et contraintes » liées à des circonstances et à des comportements particuliers. Goffman porte un intérêt tout particulier au caractère social de la communication dans les interactions, au langage verbal et non verbal, qu’il saisit par le biais d’une métaphore théâtrale (pour une application littéraire de cette métaphore, voir Belloï, 1993). Le sociologue estime cependant nécessaire de distinguer plus systématiquement interaction et communication, ce qui l’amène à décrire comme interactions stratégiques les séquences réglées de coups échangés par « deux personnes ou plus se retrouvant dans une situation de dépendance mutuelle dans laquelle chaque action d’un partenaire a des conséquences décisives sur celles des autres » (Goffman, 1969).
Dans les années 1970-1980, l’étude des interactions dans l’analyse de la communication s’assortit d’une méthodologie nouvelle avec la sociologie cognitive développée par Aaron V. Cicourel (1979). Le sociologue, qui a travaillé au développement de l’ethnométhodologie avec Harold Garfinkel dans les années 1960, étend les méthodes d’une discipline qui vise à étudier la façon dont des participants à une activité lui confèrent son intelligibilité. Dialoguant avec Goffman, Cicourel développe la notion de compétence interactionnelle, définie comme « la capacité à reconnaître, recevoir, traiter et créer des processus de communication (qui sont en même temps des sources d’information), tout en intégrant et en élaborant notre pensée et nos réactions à ces activités dans l’acte de production ou de compréhension. » (Cicourel, 1979, p. 223).
L’intérêt pour la dimension de communication du langage se trouvait déjà dans l’analyse des systèmes linguistiques développée par Mikhail Bakhtine. Celui-ci écrit que
« la véritable substance de la langue n’est pas constituée par un système abstrait de formes linguistiques, ni par l'énonciation monologue isolée, ni par l’acte psycho-physiologique de sa production, mais par le phénomène social de l’interaction verbale, réalisée à travers l’énonciation et les énonciations. L’interaction verbale constitue ainsi la réalité fondamentale de la langue » (Bakhtine, 1977, p. 136).
Bakhtine introduit également le concept de dialogisme en littérature, à savoir l’interaction entre le discours du narrateur principal et les discours d’autres personnages ou entre deux discours internes d’un personnage qui permet une polyphonie qui ne privilégie aucun point de vue. Cette notion est reprise et travaillée au travers de celle d’intertextualité, développée en 1966 au sein du groupe Tel Quel. Julia Kristeva la définit comme une interaction textuelle : le texte littéraire étant considéré comme la transformation et la combinaison de différents textes antérieurs compris comme des codes utilisés par l’auteur (1969). Avec Genette (1982) puis la sociocritique, l’intertextualité invite à penser la littérature comme un espace ou un réseau où chaque texte transforme les autres qui le modifient en retour.
Il faut cependant attendre le début des années 1970 pour que naissent des programmes destinés à décrire empiriquement les interactions verbales concrètes. Dans le sillage de Goffman et de Garfinkel se développent ainsi, d’une part, l’ethnographie de la communication, fondée par John Gumperz, pour qui « la parole est interaction » (1982, p. 29), William Labov et Dell Hymes, et d’autre part, l’analyse conversationnelle fondée par le sociologue Harvey Sacks et ses associés Emanuel Schegloff et Gail Jefferson. Par leur valeur heuristique et leur ampleur, les travaux de Brown et Levinson (1987) sur la politesse linguistique donnent une nouvelle ampleur au « travail des faces » et initie la pragmatique interactionnelle. L’interaction en linguistique désigne dès lors
« un certain type de processus (jeu d’actions et de réactions), puis, par métonymie, un certain type d’objet caractérisé par la présence massive de ce processus : on dira de telle ou telle conversation que c’est une interaction (verbale), le terme désignant alors toute forme de discours produit collectivement, par l’action coordonnée de plusieurs “interactants” » (Kerbrat-Orecchioni, 1998, p. 55).
Cet intérêt renouvelé pour l’interaction non verbale (gestes, regards, etc.) chère à Goffman a permis d’approfondir l’appréhension des processus de cognition (Kendon, 2004 ; McNeill, 2000 ; Streeck, Goodwin & LeBaron, 2011), et ouvre sur des programmes visant à mesurer et quantifier l’interaction gestuelle et verbale sur de grands corpus multimodaux annotés.
AGRÉGATION, COORDINATION, ASSOCIATION : L’INTERACTION AU CŒUR DU SOCIAL
La fortune de la notion d’interaction se traduit notamment par son omniprésence dans les théorisation actuelles du social. Peter Berger et Thomas Luckmann (1966) placent ainsi les interactions entre individus et leurs typifications mutuelles au cœur de la « construction sociale de la réalité » : la connaissance du monde est toujours tributaire d’interactions sociales et d’une construction collective du sens. À partir d’une relecture de Mead et sous l’influence de Cicourel, Jürgen Habermas développe quant à lui une définition de l’interaction comme un agir communicationnel (1987), pensé comme l’une des caractéristiques fondamentales des êtres humains. Une interaction caractérise une relation entre au moins deux personnes partageant des normes sociales et nourrissant des attentes réciproques. Toutefois, ces théories n’explicitent pas de méthodologie pour saisir les interactions sociales (Prus, 1996, p. 89). Deux approches contemporaines le font tout en proposant des programmes scientifiques distincts.
Revendiquant la démarche positiviste de Merton, la sociologie analytique américaine définit l’interaction comme l’unité fondamentale de la sociologie, et cherche à comprendre l’émergence d’un ordre et de structures sociales comme un effet des comportements individuels (Schelling, 1978 ; Turner, 1988 ; Hedström, 2005). Elle tend à proposer une sociologie hypothético-déductive basée sur des modèles destinés à rendre compte de divers mécanismes d’agrégation des interactions sociales.
S’inscrivant dans l’orientation plus empiriste de E. C. Hughes, une nouvelle génération de sociologues se sont attachés à déployer l’approche de l’interactionisme symbolique en problématisant les interactions en termes d’activités collectives et de coordination d’acteurs. Soulignant le caractère négocié des situations sociales, cette approche place au cœur de l’analyse l’interprétation que les protagonistes développent de la situation, c’est-à-dire les médiations symboliques de l’action sociale. Elle induit donc une conception de l’acteur non-déterministe, active, relationnelle et réflexive (Becker, 2004) qui a contribué à renouveler la sociologie de la déviance (Becker, 1985), des professions (Freidson, 1986 ; Abbott, 1988), des problèmes publics (Gusfield, 2009), des relations interethniques (Anderson, 1990)… Dans le domaine des arts et de la culture, Howard Becker (1988) montre en particulier comment les œuvres, loin de n’être que le produit des intentions des artistes, portent les traces de chaînes de coopération complexes. Elles supposent l’interaction d’une grande quantité de catégories de travailleurs différents, dont certaines seulement voient leur contribution reconnue comme cardinale (celles que l’on qualifie d’« artistiques »), tandis que les autres travailleurs sont relégués au rang de « personnels de renfort » (1988, p. 41). Il aboutit ainsi à la proposition que « ce sont les mondes de l’art plutôt que les artistes qui font les œuvres » (1988, p. 212).
L’une comme l’autre de ces traditions ont soulevé plusieurs critiques. La notion d’interaction est traditionnellement critiquée comme un concept peu sensible aux rapports de pouvoir et aux inégalités sociales (Fine, 1993 ; Dennis & Martin, 2005), tout particulièrement dans sa réception française. Ces reproches visent en premier lieu la dramaturgie sociale de Goffman et la tradition de l’interactionisme symbolique, la notion de hiérarchie et de pouvoir, définis en termes de structures émergentes, étant au contraire au cœur des travaux de la sociologie analytique (White, 1992 ; Gould, 2003). Si les riches travaux publiés depuis une trentraine d’années en sociologie relativisent la portée de ces reproches, on peut les considérer comme l’envers logique d’une approche fondée sur les postulats du caractère actif des personnes et du partage du sens entre partenaires en situation (Snow, 2001).
La question des échelles d’analyse est un autre point de débat. Si certains critiques, se focalisant sur une lecture étroite de l’œuvre de Goffman, ont assimilé l’interactionisme symbolique à une microsociologie (Latour, 1994), il faut souligner que dès les travaux de Park, puis de Hughes, la tradition de Chicago propose bien une sociologie des groupes sociaux (et de leurs interactions). La question de l’articulation des échelles d’analyse est notamment au cœur de la théorisation d’Anselm Strauss (1993). Dans cette lignée, Adele E. Clarke (2005) approfondit la capacité de l’approche intreractionniste à organiser les différentes échelles et à rendre compte des asymétries de pouvoir en défendant une analyse situationnelle. Afin de favoriser l’appréhension des interactions entre échelles d’analyse, Cicourel propose d’étudier les « résumés » (summaries) que les acteurs produisent dans le cadre de leurs activités. Ces résumés fournissent des informations sur des micro-situations complexes tout en intégrant des données concernant le fonctionnement général de l’organisation et sont destinés à la prise de decision. En agrégeant les données, ils transforment les micro-événements du travail quotidien en macro-structures.
La théorie de l’acteur-réseau propose ces dernières années une objection plus radicale, notamment en ce qui concerne la tradition de la sociologie analytique : « pourquoi présumer qu’il existe d’abord des agents simples, puis des interactions, puis une structure complexe – ou le contraire ? » (Latour et al., 2013, p. 209). Cela impliquerait qu’il existerait des niveaux différents d’organisation sociale (micro vs macro), et que leur articulation ferait problème. Au contraire, la théorie de l’acteur-réseau propose de longue date une conception « plate » du monde social défini comme « un réseau ordonné assemblant des matériaux hétérogènes » (Law, 1992, p. 381). Cette question interroge également la propension de la notion d’interaction à suggérer l’existence d’entités stables préalablement constituées. Pour rompre avec ce postulat, Latour tend notamment à abandonner purement et simplement la notion d’interaction, à laquelle il préfère celle d’association ou, reprenant un concept de Gabriel Tarde, d’« intersections de monades » (Latour et al., 2013, p. 220). Andrew Abbott (1995), formule une critique similaire et défend un retour à l’origine pragmatiste de la notion d’interaction. Il suggère un programme de recherche qui prend au sérieux l’hypothèse meadienne d’un monde fait d’événements instantanés et uniques, et non d’unités discrètes et durables :
« des acteurs constitués au préalable entrent en interaction, mais ils n’ont aucun moyen de traverser cette interaction en demeurant inviolables. Ils la traversent avec difficulté, et beaucoup y sombrent. L’issue en est de nouveaux acteurs, de nouvelles entités, de nouvelles relations entre d’anciennes parties » (Abbott, 1995, p. 863).
Dans cette perspective, l’étude des entités sociales – qu’il s’agisse d’individus, de professions, d’institutions, etc. – place en son cœur le travail des frontières (boundary work), conçu comme des interactions à l’issue incertaine et transformatrice. Dans une veine comparable, Susan Leigh Star (1989, 2010) interroge la capacité des acteurs à coordonner leurs actions malgré des divergences de vues significatives par le biais d’objets-frontières (boundary object). Tout en reformulant l’idée que les interactions sociales reposent sur un consensus minimal (Scheff, 1967), ses recherches contribuent à penser la société comme un ordre émergent et dynamique, restant en cela fidèles à l’approche de l’interaction symbolique comme action relationnelle et réflexive.
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