Ce terme d’origine grecque désigne dans son acception générale l’imitation de la nature et, par extension, les modes et les moyens de l’imitation dans les arts. Dans son acception spécifique, il concerne l’ensemble des ressources poétiques et esthétiques employées à la représentation du réel en littérature. À l’époque contemporaine, la notion est utilisée dans les études littéraires soit pour qualifier globalement la vraisemblance de la fiction, principalement dans ses modalités romanesque et réaliste, soit pour désigner les interférences entre les procédés formels de l’œuvre (narration, description, dialogue) et les capacités plus ou moins mimétiques dont dispose cette dernière pour signifier le réel.
Située directement à l’interface du réel et de la création artistique, la mimèsis a partie liée avec les conceptions référentielles de la littérature comme expression esthétique du monde. Chez Socrate, déjà, elle réfère aux arts plastiques qui copient la nature. Platon la considère ensuite dans La République comme une menace pour le lien social, dans la mesure où la capacité des arts à imiter le réel peut produire une illusion qui fait passer la copie pour l’original et instaure une distorsion de la vérité. La Poétique d’Aristote revalorise la mimèsis comme moyen de transmettre des connaissances et détaille ses rapports avec la diégesis. La mimèsis est alors davantage qu’une simple copie du réel : d’imitation, elle devient représentation, ce qui implique une remise en forme des événements historiques et une stylisation proprement esthétique. Premier théoricien moderne de la notion en littérature, Erich Auerbach étudie en 1946 la représentation de la réalité dans la littérature occidentale en considérant l’esthétique réaliste sous l’angle des modes de rapport au monde et des structures de pensée. Au cours de son évolution, la mimèsis s’est spécifiée selon la dimension figurative de certains genres. Au départ convoquée pour les genres épique et dramatique, elle concerne par la suite principalement le roman et contribue à redéfinir ces genres à partir d’un classement en genres mimétiques et genres non représentatifs. C’est donc en parallèle de la discipline poétique qu’il convient de considérer les emplois méta-critiques de la mimèsis.
Les usages de la notion sont liés aux approches littéraires axées sur la vraisemblance de l’œuvre. Celles-ci ont été développées dans plusieurs courants théoriques, notamment avec la critique marxiste, qui valorise la dimension mimétique de la littérature réaliste comme manière d’investiguer des structures sociales dont elle serait le reflet, et avec la psychocritique de Charles Mauron, qui applique ce principe mimétique aux structures psychiques manifestant dans l’œuvre un « mythe personnel » de l’auteur. À l’inverse, le structuralisme a développé un refus de « l’illusion référentielle », préférant y voir un ensemble de codes et de conventions. Roland Barthes explicite « l’effet de réel » en 1968, concluant que « supprimé de l’énonciation réaliste à titre de signifié de dénotation, le “réel” y revient à titre de signifié de connotation ». La question de la représentation évolue ainsi vers celle du vraisemblable comme code partagé par l’auteur et le lecteur, puis vers celle de l’intertextualité (Julia Kristeva) comme ouverture du texte aux autres textes plutôt qu’à une référence externe.
Certaines théories ont cherché à dépasser les apories de ce clivage entre l’en texte et le hors texte dans l’étude de la fonction référentielle de la littérature. Ramenant la question du réel en texte à celle du social, Claude Duchet définit en 1973 une double socialité : la référence à la société extérieure et la socialité qui livre textuellement ses propres conditions de lisibilité. Dix ans plus tard, Paul Ricoeur associe la mimèsis au monde empirique du lecteur à travers une inscription dans le temps, la mise en intrigue impliquant nécessairement une expérience temporelle. Le récit est situé dans un déploiement en trois phases de « préconfiguration », « configuration » et « reconfiguration » qui s’organisent de manière cyclique en boucles mimétiques.
Dans les études actuelles, la mimèsis tend à être convoquée avec parcimonie et semble connaître un certain discrédit dont on peut discerner plusieurs causes : elle va à l’encontre des conceptions (post)modernes de l’œuvre dont l’originalité et la lisibilité doivent s’affranchir des conventions d’imitation du réel ; elle renvoie à une ancienne appréciation de la valeur de la fiction à l’aune de sa seule vérité ou véracité ; elle porte les reliquats contestés d’une analogie cratyliste entre les signes et les choses ; elle est marquée dans l’histoire de ses usages par l’idéologie datée d’un certain marxisme ; elle est perçue comme un concept imprécis, sans cadre d’application déterminé. La mimèsis est pourtant encore évoquée par les théoriciens contemporains lorsqu’il est question de reprendre à nouveaux frais la question de la représentation dans la fiction. Certains insistent pour revaloriser sa dimension anthropologique, inhérente à la symbolisation humaine de la réalité dont elle permettrait de rendre compte. D’autres la voient comme le principe dynamique et le produit significatif des fictions sociales. D’autres encore plaident en faveur de la plasticité et de la diversité de ses usages selon les domaines concernés : esthétique, philosophie, sociologie. Quoi qu’il en soit, la propriété dynamique de la notion, qui articule des domaines hétérogènes (art et littérature, esthétique et science) plutôt qu’elle ne fixe un cadre de pensée, rend malaisé son emploi dans une théorie systémique ou une tentative de formalisation rigoureuse.
Si elle n’appartient pas à un champ disciplinaire précis, si elle s’est modulée selon les théories, la mimèsis s’avère particulièrement applicable à l’étude de la littérature réaliste française du xixe siècle, ce qui la rapproche des premières analyses de sociologie littéraire, elles aussi attachées à ce corpus historiquement et génériquement déterminé. Cette convergence explique partiellement les aléas de la fortune du terme. Après les thèses anti-référentielles des années structuralistes, et sans revenir à une conception de la littérature comme reflet du réel, il s’agit désormais de rendre compte du fait que la littérature traite d’elle-même tout en parlant du monde. La sociologie romanesque proposée par Jacques Dubois conçoit que la fiction réaliste est capable de générer des principes explicatifs originaux allant au-delà, et parfois à rebours, de sa dimension mimétique :
« ce n’est pas dans ses commentaires sociologisants […] ni dans ses descriptions de “milieux” trop longuement tartinées qu’il [le roman réaliste] dit une vérité sur le monde ; c’est là où il invente un univers, là où il dit les rapports humains en des projections qui confinent à l’allégorie, là où il s’approprie les paroles les plus triviales en des artefacts linguistiques, qu’il propose la grille la plus opératoire et la plus perspicace de déchiffrement de la société » (Dubois, pp. 11-12).
À la notion de mimèsis tend à être préférée celle de médiation. Cette dernière, utilisée dans la perspective sociocritique de Claude Duchet puis d’Edmond Cros et dans les propositions théoriques d’Alain Viala au sujet des « dispositifs prismatiques », s’est trouvée mise à l’honneur avec les études de poétique historique du support, dans le cadre d’une histoire croisée de la presse et de la littérature (Marie-Ève Thérenty, Alain Vaillant) et sous les influences de l’histoire culturelle (Christian Delporte, Roger Chartier, Alain Corbin, Dominique Kalifa). Dans ces approches, la médiation prend acte du saut ontologique et épistémologique du texte au contexte. Elle entend appréhender les spécificités littéraires d’une représentation qui n’est plus conçue sur les modes mimétique de la copie ou stylistique de la transfiguration, mais plutôt comme le résultat complexe d’une interaction entre divers paramètres configurant une expression littéraire à l’aide de ressources matérielles, figuratives et énonciatives particulières : cadres génériques, modes d’énonciation, identités d’auteurs en discours, calibrages éditoriaux, imaginaires socio-culturels, etc. À travers la perspective des interactions constantes entre singularité et socialisation, les travaux du Gremlin cherchent à repenser cette complexité du travail de figuration par et dans la fiction littéraire, qui repose sur des phénomènes de déplacement, de réorganisation et de re-sémantisation.
Bibliographie
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